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du tout chez l’aliéné paralytique. Il raconte parallèlement, comme deux vies distinctes, sa vie réelle, que la mémoire lui rappelle encore, et sa vie imaginaire, enfantée par le délire, sans sentir la nécessité de les mettre en rapport, de les relier entre elles, et sans chercher des explications pour se rendre compte de la métamorphose complète qu’il constate sans étonnement et qu’il n’éprouve pas le besoin d’expliquer. La sphère de l’intelligence de ces malades est d’ailleurs très restreinte et la portée en est limitée, alors même que cette faiblesse radicale se trouve masquée, comme cela arrive souvent au début, par une grande activité et une grande fécondité d’idées. Les facultés de production sont souvent conservées, quelquefois même exagérées au début, mais les facultés de combinaison et de coordination sont profondément atteintes, alors même que les malades paraissent jouir d’une grande puissance intellectuelle. La sensibilité et la volonté subissent des altérations correspondantes à celles de l’intelligence. Les malades, tout en conservant quelques sentiments affectueux, ordinairement même un caractère doux et bienveillant, mais de temps en temps irritable et colère, perdent beaucoup de l’activité de leurs sentiments. Ils deviennent insouciants et indifférents pour ce qu’ils avaient de plus cher : malgré le sentiment de bien-être et de satisfaction habituel chez eux, et malgré l’absence de tout sentiment de maladie, ils ne semblent pas prendre part à ce qui les entoure, et ne paraissent s’intéresser à personne. La volonté se ressent également de cet affaiblissement général des facultés. Quoique ces malades paraissent souvent, surtout dans les premiers temps de leur maladie, violents et presque indomptables, on les conduit ordinairement comme des enfants avec la plus grande facilité, et le plus simple prétexte ou la ruse la plus grossière suffisent pour les détourner d’un acte qu’ils étaient décidés à réaliser. Leur conduite est en rapport avec cette diminution d’énergie de l’intelligence et de la volonté. Tout entiers à l’impression actuelle, ils ont rompu complètement avec leur passé, sont d’une indifférence presque absolue relativement à leur situation présente, et sans souci aucun de l’avenir ; ils vivent au jour le jour, victimes et jouets de ceux qui les entourent, et ne combinent pas plus leur conduite et leurs actes en vue d’un but déterminé, qu’ils ne combinent et ne coordonnent leurs idées.