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données, ajoutent en réalité très peu à leur nature première et à leur étendue. Enfin il arrive un moment, et c’est là la période essentiellement chronique de l’aliénation mentale, où ce travail d’additions de détails cesse lui-même de se faire, et où l’esprit, au repos et inactif, cesse même de modifier les idées délirantes ; celles-ci deviennent pour ainsi dire stéréotypées. Le malade répète alors à tout venant, avec les mêmes mots, les mêmes gestes et les mêmes inflexions de voix, les mêmes idées et les mêmes sentiments. Souvent, dans l’espace de plusieurs années (car cet état se perpétue presque toujours indéfiniment, sans jamais passer à une véritable démence), on ne voit plus se produire la moindre modification, ni dans l’ensemble ni dans les détails de la systématisation délirante. L’aliéné est parfaitement décidé sur tous les points de son délire ; rien ne peut en changer ni la nature ni même l’expression et la formule ; mais alors encore, toujours ferme sur le terrain de ses idées maladives, il les soutient avec conviction, les défend avec ténacité et opiniâtreté, quoique avec moins d’activité que dans les périodes antérieures, ne se laisse pas imposer la première pensée qui se présente ; en un mot, il continue à ne pas admettre indistinctement toutes les idées qui peuvent surgir dans son esprit ou qu’on peut lui fournir.

État mental des aliénés paralytiques. — Telle est la description de l’état intellectuel des aliénés ordinaires, aux diverses périodes de leur maladie : opposons-le maintenant à celui des aliénés paralytiques, qui est précisément inverse. Il semble, en effet, que ces malades aient cessé de relier, dans une même unité, les diverses parties de leur personnalité, et de coordonner les idées qui surgissent dans leur esprit. Tout est chez eux comme à l’abandon : les idées fausses se produisent et se remplacent, sans qu’ils soient révoltés par les contradictions qu’elles présentent, et sans qu’ils éprouvent le besoin de les concilier entre elles. Le travail logique qui se fait instinctivement dans toute tête humaine, et même chez les aliénés partiels ordinaires, aussitôt qu’une idée nouvelle apparaît dans l’esprit, pour la mettre en rapport avec les autres idées du malade, avec sa situation actuelle, son passé et son avenir, pour l’étayer de preuves et la rendre acceptable pour lui-même et pour les autres, ne se fait que très incomplètement ou semble même ne pas se faire