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d’idées qu’il a déjà ; qu’en un mot, il éprouve, comme tous les hommes, le besoin de rendre ses idées délirantes plausibles à ses propres yeux et aux yeux des autres hommes, qu’il prévoit des objections, sent des contradictions et cherche d’avance les moyens de concilier ces idées nouvelles, ainsi que leurs détails, avec son passé, son présent et son avenir ; qu’il se livre, en un mot, à un travail complexe de coordination, dans le but d’harmoniser, autant que possible, entre elles toutes les parties de son délire. De là ces raisonnements, ces discussions, ces luttes incessantes qu’il livre avec lui-même et avec le premier venu sur le terrain de ses conceptions maladives, qu’il défend avec fermeté et opiniâtreté, sans jamais reculer ni faiblir, parce qu’il a d’avance préparé des réponses ou des explications, bonnes ou mauvaises, pour se satisfaire lui-même ou les autres, relativement aux objections qu’on pourrait lui adresser. On doit même remarquer que son siège étant fait, il ne tient plus aucun compte et n’est plus nullement frappé de la valeur des objections qu’on lui adresse et qu’il n’a pas prévues ; il s’est livré intérieurement à tout le travail de conciliation dont il est susceptible, et comme son esprit est arrêté sur tous les points de son délire, les objections nouvelles qu’on peut lui faire l’effleurent à peine et ne peuvent nullement l’ébranler. De là, pour le dire en passant, l’inutilité aujourd’hui si généralement reconnue du raisonnement pour modifier les idées délirantes des aliénés.

La maladie, une fois arrivée à ce degré de systématisation assez complète des idées délirantes, que l’on peut appeler la période d’état, reste ordinairement longtemps stationnaire ; car cette affection est si chronique, que c’est le plus souvent par années qu’il faut compter les modifications qui peuvent s’opérer dans son évolution. L’aliéné, une fois bien fixé dans la coordination générale de son système d’idées maladives, continue encore pendant assez longtemps à le compléter, à y ajouter des détails et des accessoires ; mais, en général, son édifice est solidement assis, et les additions qu’il y fait n’en modifient que faiblement le caractère et la structure. L’esprit a encore un certain degré d’activité, et de nouveaux compléments viennent de temps en temps couronner ou même corriger l’œuvre générale ; mais elle reste inébranlable sur ses bases, et ces idées nouvelles, qui viennent se grouper autour de l’ensemble d’idées coor-