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Pendant cette période de systématisation du délire, l’aliéné partiel en combine avec art tous les éléments ; il prévoit beaucoup d’objections et se fait à lui-même des réponses dans le but de concilier ses idées nouvelles avec ses idées anciennes, ainsi qu’avec sa situation actuelle et avec tout ce qui l’entoure ; il explique, il justifie certaines contradictions qui le frappent ; il se livre, en un mot, à un travail logique de coordination, qui est instinctif chez l’aliéné comme chez l’homme raisonnable, pour rendre ses combinaisons maladives plausibles à ses propres yeux et, jusqu’à un certain point, aux yeux des autres hommes. Sans doute son délire est loin d’être constitué uniquement, comme on se l’imagine souvent à tort, par une simple idée fausse implantée dans une intelligence d’ailleurs saine en tous points. Il ne serait pas aliéné, si une logique rigoureuse présidait à toutes ses combinaisons, s’il prévoyait toutes les objections, évitait toutes les contradictions, conciliait avec le monde réel toutes les inventions de son monde imaginaire : son édifice pèche certainement par bien des points et le plus souvent même par la base. Il admet facilement et sans contrôle des données absurdes, qu’un peu de bon sens suffirait pour repousser et détruire. Son délire présente souvent de singuliers contrastes de logique dans certains points, et d’absurdité et d’inconséquence dans d’autres. Les délires les plus restreints, quoi qu’on en dise, pullulent même de ces inconséquences et de ces contradictions qu’un souffle de la raison pourrait faire disparaître. Il ne faudrait donc pas, d’après les indications précédentes, exagérer les traits du tableau et, de ce qu’on voit les aliénés systématiser leur délire, en conclure qu’on doit les assimiler en quelque sorte à des hommes de génie qui coordonnent avec art et réflexion toutes les parties de leurs conceptions de manière à en faire un tout homogène et harmonique. Telle n’est certainement pas ma pensée ; je cherche seulement à faire comprendre par ces indications générales, nécessairement un peu vagues (puisque je ne puis ici citer des exemples à l’appui), en quoi consiste le travail intérieur qui s’opère chez l’aliéné partiel pour la formation lente et progressive de ses idées délirantes ; je veux montrer qu’il n’admet pas indistinctement toutes les idées fausses qui peuvent se présenter à son esprit, qu’il est obligé de les passer au crible de ses réflexions et de sa nature maladive, de les rendre assimilables au monde intérieur