Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Junon, qu’elle avait enfanté dans son indignation contre Jupiter lorsqu’il conçut dans son cerveau l’illustre Minerve. Pleine de courroux l’auguste Junon adressa ce discours aux immortels assemblés :

« Écoutez-moi, dieux et déesses, le formidable Jupiter est le premier qui me méprise après m’avoir choisie entre toutes pour être son épouse vertueuse. Loin de moi maintenant, il a conçu la superbe Pallas, célèbre entre toutes les déesses fortunées, tandis que mon fils Vulcain aux pieds mutilés est né le plus faible de toutes les divinités ; moi-même quand je lui donnai le jour, je le saisis et je le précipitai dans la vaste mer ; mais la fille de Nérée, Thétis aux pieds d’argent, le reçut et le nourrit avec ses sœurs. Ah ! Jupiter devait honorer plus dignement les dieux. Insensé ! perfide ! quel autre dessein médites-tu donc maintenant ? Comment seul as-tu pu concevoir la pensée d’enfanter la belle Minerve ? N’aurais-je pu l’enfanter aussi, moi, nommée ton épouse par tous les immortels qui règnent dans les cieux ? Hé bien ! moi aussi je veux employer toute mon habileté pour qu’il me naisse un fils qui soit célèbre entre tous les dieux ; je n’outragerai ni ta couche ni la mienne, je ne partagerai point ton lit, et quoique éloignée de toi je vivrai parmi les dieux immortels. »

Elle dit, et s’éloigne des dieux le cœur dévoré de chagrin. Aussitôt l’auguste Junon forme des vœux, et de sa main frappant la terre elle prononce ces paroles :

« Écoutez-moi, Terre, Cieux élevés, et vous dieux Titans, qui dans des abîmes horribles habitez au fond du Tartare, vous qui avez donné naissance aux dieux et aux hommes, écoutez-moi tous maintenant, et procurez-moi sans l’aide de Jupiter, un fils dont la force ne lui soit pas inférieure, mais qui soit aussi supérieur à Jupiter que Jupiter est supérieur à Saturne. »

Junon parle ainsi et frappe le sol d’une main vigoureuse ; la terre féconde en est ébranlée, et Junon se réjouit dans son âme car elle pense que ses vœux sont exaucés. Durant une année entière elle ne partagea pas la couche de Jupiter, et comme autrefois ne prit point place sur le trône magnifique d’où souvent elle dicta de sages conseils ; mais elle resta dans les temples remplis de ses nombreux adorateurs ; elle se plut à recevoir leurs sacrifices. Les jours et les mois s’étant écoulés et les heures dans leur cours ayant amené le terme de l’année, cette divinité enfanta un fils différent des dieux et des hommes, l’horrible et funeste Typhon la terreur des mortels. Junon prenant ce monstre dans ses bras le porte à l’hydre épouvantable ; celle-ci le reçut. Cette hydre causait des maux innombrables aux humains ; quiconque s’offrait à sa vue trouvait la mort, jusqu’au moment où le puissant Apollon la frappa d’une flèche terrible. Alors l’hydre en proie aux plus vives douleurs, respirant à peine, se roule sur le sable, pousse d’affreux sifflemens, se tord en tous sens, se précipite au milieu de la forêt ; et dans son souffle empesté exhale sa sanglante vie. Cependant Apollon s’écriait dans la joie de son triomphe :

« Que ton corps desséché pourrisse sur ce sol fertile ; tu ne seras plus le fléau des mortels qui se nourrissent des fruits de la terre féconde et ils viendront m’immoler ici de magnifiques hécatombes ; ni Typhée, ni l’odieuse Chimère ne pourront t’arracher à la mort, mais la terre et le soleil dans sa carrière céleste feront pourrir ici ton cadavre. »

Ainsi dit Apollon fier de sa victoire. Une ombre épaisse couvre les yeux du serpent : échauffé par les rayons du soleil il tombe en pourriture. Voilà comment cette contrée prit le nom de Pytho : les habitans donnèrent au dieu le nom de Pythien, parce qu’en ces lieux le soleil de ses rayons dévorans a pourri ce monstre terrible. Apollon s’apercevant alors que la brillante fontaine l’a trompé, plein de courroux, se rend près de Telphuse et lui adresse ces paroles :

« Telphuse, tu ne devais point me tromper pour régner seule sur cette charmante contrée où s’écoulent les ondes limpides ; je veux que ma gloire brille en ces lieux et non la tienne seulement. »

Le puissant Apollon précipite aussitôt sur la fontaine le promontoire et ses roches élevées ; il cache sa source et construit un autel au milieu d’un bois sacré non loin des eaux murmurantes. Les peuples le surnommèrent Telphusien parce qu’il enleva tous les honneurs à la fontaine sacrée de Telphuse.

Cependant le divin Apollon réfléchissait au fond de son âme quels hommes seraient ses ministres pour le servir dans l’âpre Pytho.

Tandis qu’il agite ces pensées dans son sein,