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OEUVRES D’HOMÈRE,

TRADUITES PAR M. ERNEST FALCONNET.




NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES D’HOMÈRE.




Homère a-t-il existé ? Ces admirables poésies que les siècles se sont transmises avec un respectueux enthousiasme ont-elles un auteur certain ? Voici une question controversée ; elle n’est pas encore résolue, et ce n’est pas nous qui prétendons la résoudre en ces pages. Nous avons à raconter maintenant ce que nous savons de la vie de l’homme auquel on attribue, à tort ou à raison, l’Iliade, l’Odyssée, la Batrachomyomachie, le Margités et les odes à Apollon et à différens dieux ou déesses. Les honneurs que sa mémoire a gardés se reflètent dans toutes les fables qui environnent sa naissance. Selon quelques-uns, il est né en Égypte. Damasgoras fut son père, Écleras fut sa mère ; il eut pour nourrice une prophétesse, fille d’Orus, prêtresse d’Iris. L’esprit de poésie s’abattit sur son berceau ; ses mains jouaient avec des tourterelles, et les premiers accens de sa voix imitaient le ramage de plusieurs espèces d’oiseaux. Ses fidèles admirateurs lui ménagent encore une naissance plus illustre : Apollon est un de ses ancêtres ; il descend du dieu en ligne directe. Quel autre qu’un fils d’Apollon eût pu écrire l’Iliade ? Entre toutes les vies d’Homère que nous a transmises l’antiquité, il en est une que nous devons citer en restant toujours dans notre rôle d’observateur et refusant de nous mêler par une conviction personnelle à une lutte inutile et chanceuse.

Hérodote, à qui cette vie d’Homère est attribuée, raconte que le poëte grec naquit à Smyrne ; que, devenu orphelin de bonne heure, il profita de l’offre que lui faisait un patron de vaisseau, nommé Mentès, et le suivit dans de nombreux voyages. Il visita l’Italie et l’Espagne, étudiant avec soin les mœurs et les coutumes de leurs peuples ; il débarqua à Ithaque, et là recueillit de nombreuses traditions sur Ulysse. Durant ses courses lointaines, il avait commencé l’Iliade ; rentré dans sa patrie, à Smyrne, il acheva ce premier poëme ; mais l’envie et l’ingratitude accueillirent son chef-d’œuvre ; il quitta sa patrie et parcourut plusieurs villes de l’Asie Mineure, récitant ses vers et demandant à l’hospitalité un asile que la mauvaise fortune lui avait enlevé. Enfin il s’établit à Chio, où il ouvrit une école, se maria et eut deux enfans. Devenu aveugle, il consacra ses loisirs à un nouveau poëme et fit l’Odyssée ; il voulut aller jouir en Grèce de la gloire de son nouvel ouvrage, mais il mourut dans la traversée à l’île d’Ios, une des Sporades : les habitans lui élevèrent un tombeau sur le bord de la mer. Aucune preuve ne vient appuyer ce récit, mais du moins il n’est pas invraisemblable. Toutes les traditions et les livres anciens nous représentent Homère aveugle, le front courbé sous la gloire et la méditation, visitant les villes grecques et chantant ses hymnes aux dieux dans son pèlerinage vagabond ; nous le voyons aux fêtes publiques luttant de poésie avec Hésiode, réciter au peuple assemblé les beaux vers de ses poëmes.

Les citoyens de Chio se vantèrent pendant de longues années de posséder parmi eux les descendans d’Homère et leur donnèrent le nom d’Homérides ; ils frappèrent en son honneur une médaille qui d’un côté représentait le poëte, et de l’autre, le fleuve Mélès, d’où lui a été donné le nom de Mélésigène.

Cette obscurité qui environne la vie d’Homère, l’époque de son existence, le lieu même de sa naissance, laissaient un vaste champ aux hypothèses et aux systèmes. Les érudits s’y sont précipités, et plusieurs d’entre eux sont arrivés aux résultats les plus étranges, aux paradoxes et aux non sens absurdes. L’un d’eux, le docteur Bruyant, fait naître Homère dans la Thèbes d’Égypte : c’était un poëte âgé, voué à l’adoration mystique des divinités égyptiennes ; il déroba les poëmes de l’ingénieuse Phantasia, dissimula habilement les lieux et les noms en conservant les scènes, remplaça les bords du Nil par les bords du Scamandre, et se revêtit d’une gloire dont il était le plagiaire. D’autres allèrent plus loin encore : Hollandais voués à une admiration exclusive pour leur pays, ils prétendaient qu’Homère et Hésiode étaient leurs compatriotes, qu’ils étaient nés en Belgique.

Enfin vint un homme qui, avec le poids d’une grande science et l’autorité d’immenses recherches,