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yeux ne peuvent se rassasier de ce spectacle ; et je suis frappé de stupeur, car il me semble que c’est un prodige étonnant, et, quoique je le croie, j’ai cependant de la peine à m’abandonner entièrement à cette idée.

On dit que ce fut d’abord la tête de Gorgone dont la vue était si fatale aux humains.

Persée au vol rapide ne doit pas être considéré comme un monstre, car c’est lui qui, aux extrémités escarpées de l’Atlantide, tua cette vierge farouche et d’un aspect infernal. Destinée horrible pour tous ! ceux qu’elle regardait de son œil sanglant, ceux qui contemplaient cet épouvantable monstre étaient tués sur-le-champ et changés en pierre par une volonté fatale ! La robuste Minerve, quelque courageuse qu’elle fût, ne voulut pas la regarder en face ; Persée, au glaive d’or, ne put être décidé par son frère homme magnanime, à jeter les yeux sur elle, même après qu’elle eut été exterminée. Il lui coupa la tête par ruse : s’approchant derrière elle qui ne le voyait pas, il lui trancha le gosier avec une arme recourbée. Quoiqu’elle fût morte, sa figure était encore dangereuse à voir, et beaucoup devaient descendre dans la noire demeure de Pluton à cause de sa mort. Le héros souillé de sang, s’approchant du rivage pour se laver dans la mer, déposa sur les herbes verdoyantes la tête de Gorgone chaude encore et palpitante. Quand il se fut rafraîchi dans les gouffres de la mer, il sortit de cette route trompeuse et de ses périlleuses luttes. Les racines des herbes qui se trouvaient au-dessous de la tête étaient alors humectées et remplies de sang. Aussitôt les filles de la mer acccourant s’empressèrent de le comprimer ; elles le firent si bien que vous auriez cru l’herbe changée en pierre solide, et cela était en effet : elle perdit la verte couleur de l’herbe, il est vrai, mais elle n’en perdit pas la forme ; elle conserva seulement une couleur rouge qui venait du sang. Le héros intrépide fut frappé de stupeur quand il vit subitement ce grand miracle. La prudente Minerve, fille de Jupiter, accourut alors, l’admira aussi, et pour rendre la gloire de son frère immortelle, elle voulut que le corail eût la faculté de changer toujours sa première nature. La puissante Minerve lui donna aussi l’immense puissance de conserver les hommes qui entrent dans le liquide élément, si quelqu’un pénétrant dans cette route dangereuse porte avec soi cette pierre merveilleuse, ou traverse la mer enfermé dans un navire aux flancs solides. Le corail préserve encore les hommes de la lance meurtrière de Mars, de la colère homicide des brigands et des chiens aboyans de Nérée. Mais il faut qu’ils invoquent en même temps la verte Tritogénie qui excite les tempêtes et qu’ils implorent son appui. Si, en semant, tu le mêles au grain jaune que tu jetteras dans le sillon, il éloignera tous les fléaux de tes guérets, tous les insectes qui se glissent dans les épis pour les sucer, et la grêle qui tombe avec rage sur les moissons et ravage les champs par ses traits perfides. Il dissipe en outre tous les vermisseaux qui naissent dans les ulcères ; il préserve également de la rouille éthérée qui tombe du ciel, s’attache aux épis et les ronge. Il met en fuite les phalanges innombrables des rats et des fourmis. Les foudres de Jupiter, respectant la gloire illustre de sa fille, ménageront les champs. Le meurtrier d’Argus apporta cet excellent corail aux hommes qui faisaient route. Quant à toi, souviens-toi de le boire avec de bon vin : il esl alors infaillible contre les serpens dangereux, comme je te l’ai déjà dit.

XV.

L’AGATHE.

Buvez aussi avec un vin généreux la belle agathe qui revêt différentes formes ; elle paraît tour à tour présenter diverses couleurs ; en la regardant de près, vous trouverez en elle la transparence vitrée de la jaspe, la couleur sanglante de la sarde et tout le brûlant de l’émeraude ; vous trouverez encore en elle la couleur luisante de l’argent et celle d’une pomme verte, mais la plus belle et la plus utile agathe sera celle qui t’offrira la couleur d’un lion fauve. C’est pourquoi les anciens l’ont appelée léontasère. Elle est piquée de petits points flamboyans, noirs, blancs et verts. Si quelqu’un a été piqué par le dard dangereux d’un scorpion, il approche cette pierre de la blessure, et aussitôt les douleurs sont calmées. Elle rendra agréable aux femmes un homme qu’elles n’aimaient pas avant. Par son aide les discours charmeront les mortels ; tu remporteras toutes choses, tu obtiendras tout ce que tu demandes, et tu rentreras joyeux dans ta maison. Celui qui tiendra une agathe dans sa main pourra guérir un malade, et obtenir une cure assez merveilleuse pour le ramener à la vie. Mais mets-toi bien