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l’ont nommé Mage. Il est mort dans le combat cet homme divin, cette vaillante épée, sans être honoré de qui que ce fût, il est mort ! Les mortels, semblables à des bêtes fauves, ignorans et indociles, et ne voulant pas se soumettre à la science divine et aux conseils divins, sont pleins de malice et de mauvaises pensées. Ils n’ont pas le courage de faire quelque grande œuvre digne d’admiration ; un nuage épais obscurcit leurs cœurs et les empêche de s’avancer dans le pré verdoyant et fertile de la vertu. Mais moi, je me propose de dévoiler à ceux qui m’écouteront un trésor bien plus précieux que des monceaux d’or ; mais il faut un homme laborieux que le travail ne rebute pas, qui éprouve promptement chaque chose et qui soit encouragé par ceux qui savent. Car Jupiter foudroyant ne veut pas donner sans peine une heureuse fin aux travaux et aux paroles : les coursiers mêmes du Soleil ne peuvent conduire ce dieu rayonnant dans l’immensité de l’Éther, qu’avec fatigue et pénible sueur.

ARGUMENT DES PIERRES.

Je serais bien plus charmé de l’entretien d’un homme prudent que de la possession de l’or, ce maître de tous les hommes. Un jour que j’allais offrir un sacrifice au Soleil, je rencontrai le prudent Théodamante, qui revenait à la ville : je lui pris la main et lui parlai en ces termes :

« O ami ! si nulle nécessité ne te presse, il nous sera loisible de rentrer demain à la ville : c’est Dieu même qui m’a fait te rencontrer à l’instant où j’allais présenter mes offrandes : viens avec moi, nous célébrerons ensemble ces sacrifices divins qui doivent plaire à tous les hommes sages. Le cœur des Dieux immortels est rempli de joie lorsque des hommes de bien leur adressent des offrandes et des prières. Je ne te ferai pas faire une bien longue route, car tu me vois me rendant à cette montagne voisine qui fait partie de nos champs. Étant jeune homme encore, j’osai un jour y aller tout seul, et je me mis à poursuivre un couple de perdrix qui m’avait échappé. Chacune d’elles ayant entendu prononcer son nom s’arrêta et reconnut ma voix. J’étendis délicatement la main, mais avant que je pusse les prendre elles s’enfuirent. Moi, qui me penchais en avant, je tombai d’abord sur le visage, mais aussitôt je me relevai et je les poursuivis. Arrivé au sommet de la montagne, elles prirent leur vol plus rapides qu’un trait et battant bruyamment des ailes : elles avaient été effrayées par la vue d’un serpent horrible, entr’ouvrant sa gueule effroyable et mortelle, et se précipitant d’un hêtre antique et couvert de branches épaisses. Je m’approchai et je ne le vis pas ; car mes yeux suivaient attentivement les oiseaux, je ne le vis pas avant que sa tête élevée, se dressant sur la terre, ne m’avertît de sa présence. Certainement il était prêt à me tendre un piège horrible. Mais si quelqu’un m’eût vu retournant sur mes pas et m’enfuyant avec rapidité, il n’eût pas pensé que les perdrix aux pieds rapides eussent pu me suivre ; il n’eût pas pensé que mes jambes étaient encore jeunes et débiles. La peur me donna l’impétuosité de l’aigle et de l’orage. La mort était à mes talons ; souvent la gueule du monstre atteignit l’extrémité de mon vêtement, la bête immense me glaça de son souffle empesté : j’étais perdu si je n’eusse eu l’idée de me réfugier à un autel que les anciens avaient bâti à Phébus. Un tronçon d’olivier déraciné, et que la flamme avait ménagé, était encore là ; je le saisis et je le dirigeai contre la tête menaçante du dragon. Le monstre fut enflammé de fureur quand il me vit décidé à la défense ; il se roula en rond, tournant ses reins flexibles en redoutables spirales. Les cercles se développaient ainsi les uns sur les autres. Puis, dressant sa tête, il l’éleva en sifflant au-dessus de l’autel, et ce bruit couvrit l’éclat de ma voix. Je frappai rudement la tête du monstre et du coup mon arme fut brisée. Il n’était pas dans ma destinée de venir à bout de cette bête féroce. Alors deux chiens appartenant à mon père, et que j’avais toujours traités avec douceur, reconnurent ma voix. Ils quittèrent les troupeaux qui paissaient loin de là et s’élancèrent à mon secours. Le dragon se précipita sur eux : aussitôt je pris rapidement la fuite à travers les champs. De même qu’un lièvre timide fuyant les ongles féroces de l’aigle, oiseau de Jupiter, se cache dans d’épaisses broussailles, de même me réfugiant au milieu des brebis, et rapetissant mes membres, j’échappai à la vue de cette bête féroce. Quand mon père sut que je n’avais pas été blessé, il amena à l’autel un jeune taureau et l’offrit en holocauste au Dieu qui avait ainsi sauvé la vie de son fils. Et moi aussi choisissant dans le troupeau un veau bien gras, et l’arrachant à la mamelle pendante de sa mère,