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que jamais dans une complète réalité ; les temps de l’existence réelle des Juifs sont courts, car l’invasion des opinions, de la civilisation et de la langue des Grecs fut rapide parmi eux ; les dominations étrangères leur inspirèrent successivement des doctrines et des croyances qui altéraient leur dot sacrée, mais cependant nous pouvons dire que l’existence de ce peuple fut celle d’un peuple élu, privilégié, et qu’elle se rattacha d’une manière prophétique à un avenir qui fut accompli. Et ceci se retrouve dans ses livres divins ; l’expression y est continuellement dictée par le culte ; les comparaisons mystiques y abondent. La nature extérieure est invoquée comme hommage à la nature divine : Dieu s’explique par le monde. C’est le but de toute l’inspiration. La religion qui en ressort est toujours sévèrement morale, basée sur une foi inaltérable et héroïque en la Providence, c’est une théocratie perpétuelle, transmissible, animant et ordonnant tout dans la vie, c’est un ensemble de prescriptions sévères, impérieuses, non pas enveloppées dans une philosophie qui disserte gravement des attributs de Dieu, bâtit des démonstrations sur des argumens subtiles et parvient à la vérité en s’appuyant sur des moyens artificiels, mais inspirant une crainte filiale et un amour immuable en Dieu par une alliance inébranlablement solide et la relation vivante, perpétuelle et inspirée.

La littérature des Hébreux porte donc surtout ces deux qualités distinctes, moralité et divinité. L’ensemble et les détails sont pareillement illuminés de cette puissante nature. Ainsi ses livres représentent un tabernacle grandiose couronné de l’auréole des douze petits prophètes, flamboyant à ses quatre angles de ces torrens enflammés de prophéties jetées par les quatre grands prophètes. Les livres historiques témoignent encore de l’intervention divine ; ils nous montrent dans leur ensemble les égaremens, les épreuves et les voies miraculeuses du peuple élu, secouant par fois les ordres d’en haut et se courbant bien vite ensuite sous la crainte salutaire. Les histoires particulières, les légendes hébraïques, qui d’après le point de vue ordinaire et littéral ne formeraient qu’une partie accidentelle et purement épisodique du tout, comme le livre de Ruth, celui d’Esther et de Tobie, nous montrent encore l’action réelle de la Providence sévère et bienveillante sur les personnes isolées ; ils viennent ainsi se rallier au grand livre de la vie du peuple hébreu, lui servir de commentaire, présenter la même idée dans une sphère plus restreinte et sous un vêtement symbolique. Ce tronc nerveux des livres divins, qui porte tant de fruits dans leurs fleurs, enfoncé aussi dans la terre par les fortes racines de la Genèse, lève vers le ciel les rameaux de ses prophéties et domine de son ombre toute cette abondante et luxurieuse végétation de cantiques qui grandit à ses côtés. Ces hymnes, aspirations ardentes de foi et d’amour, s’élancent comme un triple rejeton, audacieux et portant haut la signification de leurs idées. Le livre de Job complète l’obéissance à la loi divine par la patience et la foi ; les livres de Salomon annoncent les mystères de l’amour divin, et les proverbes présentent les paroles sévères de la morale ordinaire. Tel est l’ensemble de la littérature hébraïque : elle est toute renfermée dans les livres saints. Procédant de l’unité de Dieu, elle arrive à l’unité de la doctrine ; toutes ses portions se groupent dans une même tendance. C’est le résumé sublime d’une civilisation isolée, sérieuse, qui a grandi sous l’influence de la théocratie et lui doit ses plus glorieux développemens.

La littérature grecque est plus universelle, plus éparpillée, adonnée à la forme et à l’expression, mais ne reconnaissant aucune pensée dominante. Elle procède de l’inspiration des hommes et de l’inspiration des événemens ; mais les hommes et les événemens ont un caractère purement accidentel. Un poëme vient après un poëme ; entre eux il n’y a pas de liens. Les croyances étaient indécises et mobiles. Deux parts se trouvaient dans le paganisme : l’une secrète, dévoilant les idées qui se cachaient sous les formes, initiant aux doctrines par les mystères si profondément significatifs d’Éleusis et les sages oracles de Delphes ; l’autre publique, vulgaire, divisant les vices et les vertus, faisant des dieux de tous les penchans humains, peuplant l’Olympe de divinités passionnées, irritables, faibles, amoureuses ou sages, faisant ainsi des cieux une reproduction fidèle de la terre.