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NOTES

et des mouvemens éternels des astres, représentèrent l’aurore, le soleil et la lune sous l’image des trois divinités qui présidaient au jour et à la nuit. L’astrolâtrie, comme on le sait, remonte presque jusqu’au berceau du monde ; les Grecs, à cause de leurs relations avec l’Orient, durent s’y livrer dans l’origine ; mais son règne s’affaiblit d’âge en âge au point de disparaître entièrement du temps d’Hésiode. Cette personnification des astres subsista seulement comme un témoignage, comme un débris des croyances primitives.

Nous remarquerons qu’Hésiode dit Hélion mégan, de même que Moïse (Genèse, 10) appelle le soleil luminare majus.

(7) Hésiode, au sujet de Latone, de Japet, de Saturne, de la Terre, de l’Océan et de la Nuit, confond les divinités, qui de son temps n’étaient plus l’objet d’aucun culte avec celles qu’on adorait encore. Saturne, symbole du Temps, qui a commencé avec la marche des astres et avec la sphère céleste ; Japet, dont le nom, semblable à celui de Japhet, fils de Noé et père des Européens, rappelle peut-être le souvenir de l’établissement des peuples dans une des parties du monde ; la Nuit, qui avant la naissance des dieux occupait l’espace vide et ténébreux appelé le Chaos ; l’Océan, représenté comme un des principes de la création, à laquelle l’humidité est nécessaire ; la Terre, qui dans l’acte de la génération est l’élément femelle comme le ciel est l’élément mâle ; toutes ces divinités, liées soit à des idées cosmogoniques, soit à un ancien système religieux, se trouvent invoquées pêle-mêle avec les dieux qui, comme Jupiter, Neptune et Apollon, sont en possession de tous les honneurs divins et ont survécu à la ruine du culte primitif. Cette confusion mythologique peut servir à confirmer nos doutes sur l’authenticité du début de la Théogonie. Avouons toutefois que le poëme entier n’offre guère qu’une œuvre à double face, où des idées contradictoires viennent trop souvent s’entre-choquer et s’entasser sans ordre.

(8) Les poètes anciens ou les héros de leurs poëmes n’étaient guère dans l’usage de prononcer leur propre nom lorsqu’ils parlaient d’eux-mêmes. Achille dit cependant (Iliade, ch. 1, v.  240) : « Les enfans des Grecs regretteront Achille. »

Mais Homère ne parle jamais de lui et ne se nomme nulle part. Si Hésiode prononce ici son nom, nous ne croyons pas, comme Wolf, que cette tournure respire une certaine simplicité antique ; nous pensons qu’elle indique plutôt une époque où, la poésie étant devenue moins générale et par conséquent moins naïve, les chantres, éprouvant le besoin de l’individualisme, aimaient à fixer sur eux l’attention et suivaient les conseils de leur vanité au lieu de ne songer qu’aux intérêts et aux plaisirs du grand nombre.

Hésiode se représente gardant des troupeaux, non comme un pasteur mercenaire, mais conformément à l’usage d’un siècle où les emplois champêtres étaient le partage des héros et même des rois : peut-être a-t -il voulu montrer comment les Muses peuvent de la condition la plus simple élever un homme jusqu’au rang de poëte. Lucien et Perse semblent s’être moqués de cette apparition des Muses à Hésiode ; Ovide y fait allusion deux fois d’abord dans les Fastes, 6, v.  13 :

Ecce deas vidi, non quas præceptor arandi
    Viderat, ascraeas cùm sequeretur oves.

Ensuite dans le poëme de l’Art d’aimer, 1, vers 27 :

Nec mihi sunt visæ Clio Cliusque sorores,
   Pascenti pecudes vallibus, Ascra, tuis.

(9) L’habitude qu’avaient les poètes de commencer et de finir leurs chants en invoquant les dieux remonte à la plus haute antiquité, puisque la religion était le centre d’où partait et où revenait sans cesse la poésie. Les expressions employées ici par Hésiode se retrouvent dans ses vers sur Linus, dans le fragment d’un hymne homérique à Apollon, dans le début des Pensées de Théognis et dans beaucoup d’autres poésies consacrées à l’éloge des dieux. Une telle formule de louange s’appliquait même aux monarques ; ainsi dans l’Iliade (ch. 9, v.  97), Nestor dit à Agamemnon : « C’est par toi que je commencerai, c’est par toi que je finirai ce discours. »

Les poëtes latins ont emprunté des Grecs cette pensée qui marque toujours la déférence et le respect. Horace (Épître 1, lib. 1, v. i) s’adresse ainsi à Mécène :

Primâ dicte mihi, summà dicende Camœnâ.

Virgile a dit également (Églogue 8, v. ii) :

A te principium tibi desinet.

(10) Cette expression proverbiale : « Pourquoi m’arrêter ainsi autour du chêne ou du rocher ? » voulait probablement dire : « Pourquoi parler de choses étrangères à ce qui m’occupe ? » Le Clerc pense qu’elle était venue de ce que les poëtes qui avaient commencé la description d’une montagne ou d’une forêt se jetaient quelquefois dans de longues digressions qui les éloignaient de leur but. La conjecture de Le Clerc nous semblerait plus fondée s’il eût dit que c’était le chêne ou le rocher qui servait de digression au lieu d’être le sujet du récit principal. Ce proverbe se trouve originairement dans l’Iliade et dans l’Odyssée. Hésiode a préféré le sens qu’il a dans ce premier poëme à celui qu’il présente dans le second.

Dans l’Iliade (ch. 22, v. 126), Homère fait dire à Hector prêt à combattre Achille : « Ce n’est plus le