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à tour des formes différentes, se présente comme un monstre horrible ; son épaule gauche portait une tête de cheval hérissée de crins et l’épaule droite portait une tête de chien enragé ; la tête du milieu était celle d’une bête féroce. Des deux mains, elle tenait une épée par la poignée. Pandore et Hécate tournaient toutes les deux en rond autour de la fosse, et les furies se ruaient avec elles dans des courses de bacchantes. La statue de Diane gardienne fut émue et éleva les yeux vers le ciel ; les chiens, les gardiens, nous caressaient en remuant la queue, les verrous d’argent tombaient, les belles portes du grand mur s’entr’ouvraient et le bois sacré nous apparut.

Je franchis le seuil le premier. Après moi vinrent la fille d’Éète, Médée et le fils intrépide d’Éson, et les Tyndarides ; Mopsus les suivait. Lorsque nous approchâmes du hêtre sacré, du lieu hospitalier consacré à Jupiter et de l’autel qui lui est élevé, le dragon, qui était roulé dans ses replis tortueux, leva la tête et poussa de ses horribles mâchoires un profond sifflement ; l’air immense en fut ébranlé, et les arbres résonnèrent vibrant à droite et à gauche dans leurs plus profondes racines. Le bois épais répéta ce bruit par un sourd hurlement. La peur me prit ainsi que mes compagnons. Médée seule garda son âme tranquille et calme dans sa poitrine. Moi je pris ma lyre et j’unis ses sons aux accens de ma voix : mes lèvres récitèrent de doux chants.

J’invoquai le sommeil, le roi des dieux et des hommes, pour qu’il vînt au plus tôt calmer la colère du terrible dragon. Il se rendit aussitôt à mes désirs et il vint sur la terre des Citaïdes. Sur son passage il endormit les nations des hommes, les souffles furieux des vents et les flots de la mer, les fontaines d’eaux éternelles, et les courans des fleuves, et les bêtes féroces et les oiseaux, tous les animaux et les reptiles. Il arriva porté sur ses ailes d’or et s’abattit dans la contrée florissante des Colches. Il s’empara aussitôt des yeux de l’immense dragon. Le monstre recourba son cou chargé d’écailles et ramena sa tête sous son ventre. A cette vue, la malheureuse Médée fut frappée d’étonnement ; elle conseilla au fils intrépide d’Éson de profiter de cet instant pour enlever à l’arbre cette belle toison d’or. Lui n’hésita pas : saisissant la toison immense, il se dirigea vers son navire. Dès que les héros myniens le virent, leur cœur fut réjoui d’allégresse ; ils élevèrent les mains vers les dieux qui habitent le ciel immense.

Cependant Éète apprit de ses esclaves que Médée avait disparu : il ordonna aussitôt à Absyrte de convoquer son peuple et de chercher partout cette jeune vierge, sa sœur germaine. Celui-ci, ne perdant pas un instant, se précipita vers la rive, arriva à la flotte des héros et saisit l’infortunée jeune fille. Cependant la nuit, vêtue d’étoiles, avait fait la moitié de sa route lorsqu’une ruse horrible, un crime atroce fut commis par Médée contre l’amour du noble Absyrte : il fut tué, puis fut précipité sur les rives du fleuve rapide. Le vent impétueux l’entraîna aussitôt. Absyrte, ainsi poussé par les flots, fut roulé jusqu’aux immensités de la mer, et enfin il fut jeté dans les îles qui depuis ont pris le nom d’Absyrtides. Mais ce crime n’échappa point à Jupiter, dont l’œil embrasse tous les hommes, ni à Némésis, car lorsque les héros furent venus au navire et que, s’appuyant de toutes leurs forces sur les rames rapides, ils sillonnèrent le fleuve, nous n’arrivâmes pas directement à la mer par l’embouchure du large Phasis, mais nous déviâmes malgré nous et nous fûmes entraînés en arrière en revenant sur nos pas.

Nous avions laissé les villes des Colches sans que les Myniens pussent s’en apercevoir, car une nuit ténébreuse nous environnait. A force de bras, en ramant péniblement, nous arrivâmes au milieu du fleuve, au centre de la région. Les peuples qui habitent à l’entour sont les Gymniens, les Buonomiens, les Arciens sauvages, la nation des Cercétiques et des féroces Sindoriens. Dès que l’aurore bien-aimée des hommes apparut dans les cieux, nous abordâmes à une île couverte d’herbes. Deux fleuves l’environnent de leurs eaux, qui ne sont pas navigables, le lent Phasis et le tranquille Saranges. Celui-ci se précipite dans la mer à travers des herbes marécageuses avec de profonds relentissemens. Alors nous naviguâmes à la rame pendant le jour et pendant la nuit : nous parvînmes ainsi, à travers les détours des marais Méotides, jusqu’au Bosphore, que Titan traversa assis sur un immense taureau, après avoir dérobé des bœufs. Fatigués d’avoir ramé tout le jour, nous abordâmes d’abord sur les rives des Méotiens aux légers vêtemens, vers la tribu des Gélons et les populeuses