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ensuite des pierres pour dresser l’autel, on se couronna de feuilles de chêne, et on offrit le sacrifice en invoquant l’auguste mère des dieux, déesse du Dindyme, et habitante de la Phrygie. On adressa en même temps des vœux à Titias et à Cyllène, ces illustres compagnons de la déesse, les chefs de tous les Dactyles de Crète [1] que la Nymphe Anchialé mit au monde au fond d’un antre du mont Dicté [2], en saisissant, dans l’accès de sa douleur, la terre de ses mains.

Jason versant des libations sur les victimes enflammées, suppliait ardemment la déesse d’apaiser la fureur des vents. Ses compagnons, revêtus de leurs armes, dansaient autour de l’autel en frappant de toutes leurs forces leurs boucliers de leurs épées [3]. Orphée l’avait ainsi commandé pour écarter du sacrifice les tristes gémissements des Dolions, qui pleuraient sans cesse leur roi, et c’est de là que les Phrygiens ont conservé l’usage d’invoquer Cybèle au son du rhombe [4] et des tambours. La déesse écouta les vœux qu’on lui adressait, et sa faveur se manifesta par des signes éclatants. Les arbres se couvrirent subitement de fruits, la terre fit éclore sous les pas des héros des fleurs sans nombre, les lions, quittant leurs cavernes, s’approchèrent d’eux en les caressant de leurs queues, et, par un prodige encore plus étonnant, le Dindyme, qu’aucune fontaine n’avait arrosé jusqu’à ce jour, vit tout à coup jaillir de son sommet aride une source abondante, que les habitants des contrées voisines appellent encore la fontaine de Jason. Le sacrifice fut suivi d’un festin, pendant lequel la montagne des ours retentit de chants en l’honneur de Cybèle.

On aborde en Mysie, près du fleuve Cius.

Les Argonautes se rembarquèrent au lever de l’aurore et s’éloignèrent de l’île en ramant à l’envi. Le ciel serein, la mer unie et tranquille favorisaient leurs efforts. Remplis d’allégresse, ils déployaient la force de leurs bras et faisaient voler le vaisseau avec tant de vitesse que les rapides coursiers de Neptune n’auraient pu l’atteindre. Vers la fin du jour, des vents impétueux ayant soulevé de nouveau les flots, ils se sentirent enfin accablés de lassitude et furent obligés de laisser reposer leurs rames. Hercule seul, toujours infatigable, opposait au courroux des vagues la vigueur de ses bras, et par de violentes secousses faisait avancer le vaisseau. Ils avaient déjà passé l’embouchure du Rhyndacus et le tombeau d’Égéon [5] et côtoyaient avec joie le rivage de la Mysie, lorsque tout à coup la rame fut brisée par la violence des flots. Une partie est emportée par les vagues, l’autre reste entre les mains du héros, qui tombe à la renverse et se relève aussitôt sans rien dire et comme étonné de voir ses bras condamnés au repos. L’heure approchait où le laboureur quitte les champs, et pressé par la faim se hâte de retourner à sa chaumière ; arrivé près de sa porte il étend par terre ses genoux fatigués, et considérant son corps couvert de poussière, et ses mains usées par le travail, il maudit les besoins qu’il ne peut satisfaire qu’au prix de tant de peines et de fatigues. Les Argonautes abordèrent alors sur un rivage voisin de la ville de Cius, près du fleuve du même nom et du mont Arganthon. Les Mysiens qui habitaient cette contrée, voyant arriver des étrangers qui n’avaient aucun dessein ennemi, leur accordèrent volontiers l’hospitalité, et leur fournirent en abondance des vivres et du vin. Les uns vont chercher du bois sec, les autres étendent sur la terre des lits de verdure [6], ceux-ci font jaillir du feu du sein d’un caillou ; ceux-là versent du vin dans les coupes et préparent le repas, après avoir offert à l’entrée de la nuit un sacrifice à Apollon, protecteur des débarquements.

Cependant le fils de Jupiter, empressé de réparer la perte de sa rame, laissa ses compagnons apaiser la faim qui les pressait, et dirigea ses pas vers une forêt voisine où, après avoir erré longtemps, il découvrit un sapin peu chargé de branches et dont la grosseur et la hauteur n’excédaient point celles d’un peuplier. Aussitôt il jette par terre son arc et son carquois, se dépouille de sa peau de lion et de sa massue,

  1. Les Dactyles de Crète, appelés aussi Curètes, habitaient le mont Ida, et accompagnaient Rhéa, la même que Cybèle. Lorsqu'elle mit au monde Jupiter, ils aidèrent à cacher sa naissance en dansant autour de lui, et en frappant leurs armes pour étouffer ses cris.
  2. Montagne de Crète.
  3. Espèce de danse appelée Pyrrhique, en usage chez les Crétois et chez les Lacédémoniens.
  4. Instrument d'airain dont se servaient aussi les magiciennes. Théocrite, Idyll., II, v. 30 et 35. Eustath. comm. in Dionys, v. 1134.
  5. Un des Géants, le même que Briarée, qui secourut Jupiter contre les autres dieux. Homère, Iliade, v. 404.
  6. :Ille manus heroum placidis ut constitit oris
    Mollia composita littora fronde tegit.
    Properce, I, 20, 21.