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renversé par Acaste, Promée par Idas, Hyacinthe par Clytius, Télamon porte à Basilée un coup mortel, Zélys, le fier Géphyrus sont terrassés par Pélée, les deux fils de Tindare font mordre la poussière à Mégalosacus et à Phlogius. Enfin le jeune Méléagre abat à ses pieds Itymon et Artace, le plus vaillant des Dolions. Tous ces guerriers, pour prix du courage qu’ils firent alors paraître, sont encore aujourd’hui honorés comme des demi-dieux par les habitants du pays. Les autres, saisis d’épouvante, fuient comme des colombes devant l’épervier qui les poursuit et se précipitent en foule au travers des portes de la ville, qui retentit aussitôt de cris et de gémissements. Le matin chacun reconnut son erreur. Les Argonautes furent pénétrés de douleur en voyant le jeune prince étendu sur la poussière et baigné dans son sang. Pendant trois jours ils poussèrent avec les Dolions des cris lamentables et s’arrachèrent les cheveux ; le quatrième, on s’occupa des funérailles. Les deux peuples, revêtus de leurs armes, tournèrent trois fois autour du corps [1] et célébrèrent en l’honneur du héros des jeux funèbres au milieu d’une prairie où son tombeau s’offre encore aux yeux de la postérité. Clyté ne voulut pas survivre à son époux. Un nœud fatal termina d’une manière encore plus affreuse sa vie et son désespoir. Les Nymphes des forêts la pleurèrent, et pour conserver à jamais la mémoire de cette épouse infortunée, elles formèrent de leurs larmes une fontaine qui porte encore son nom.

Douleur des Argonautes ; sacrifice à Cybèle.

Les Dolions, accablés de tant de maux, n’avaient pas le courage de prendre de nourriture. Pendant longtemps ils ne songèrent pas seulement à préparer le premier soutien de la vie et ne mangèrent que des herbes crues. Ce sont ces jours de douleur que les Ioniens, habitants de Cyzique, rappellent encore lorsque, renouvelant tous les ans leurs libations en l’honneur des héros dolions, ils font broyer sous une meule publique la matière d’un pain grossier qui leur sert alors de nourriture.

Les Argonautes restèrent encore douze jours sur ce rivage, retenus par les tempêtes dont la mer était agitée. Sur la fin de la dernière nuit, tandis que chacun était endormi profondément et que Mopsus faisait la garde avec Acaste, un alcyon, voltigeant au-dessus de la tête de Jason, annonça par un doux gazouillement la fin des orages. Mopsus entendit le chant de l’oiseau qui habite les bords de la mer et comprit le prèsage. Bientôt l’alcyon, obéissant aux ordres de la divinité qui l’envoyait, alla se placer sur le haut de la poupe du vaisseau. Mopsus, s’approchant alors de Jason, qui reposait sur des peaux de brebis, le tira par le bras et lui dit :

"Fils d’Éson, écoute ce que je viens d’apprendre par le chant d’un alcyon qui voltigeait autour de toi pendant ton sommeil. Pour calmer la fureur des vents qui troublent depuis si longtemps les flots, il faut que, montant sur le sommet sacré du Dindyme, tu te rendes la mère des dieux favorable par un sacrifice. C’est elle qui tient sous son pouvoir les vents, la mer, les abîmes de la terre et les sommets glacés de l’Olympe, et lorsque quittant la cime des montagnes, elle paraît dans les cieux, Jupiter lui-même se lève pour lui céder sa place. A son exemple, les autres Immortels témoignent à l’envi leur respect à cette redoutable déesse. " Ce discours remplit Jason de confiance et d’allégresse. Il se lève, court à tous ses compagnons, les éveille, et lorsqu’ils furent assemblés leur expose la prédiction de Mopsus. Aussitôt les plus jeunes font sortir des étables les bœufs nécessaires pour le sacrifice et les conduisent sur la montagne. Les autres, ayant détaché le vaisseau du rocher sacré, le font avancer à la rame dans le port des Thraces, et, ayant laissé quelques-uns d’entre eux pour le garder, montent ensuite sur le sommet du Dindyme. De là ils découvraient devant eux, et pour ainsi dire sous leurs mains [2], les monts Macriens et toute la Thrace. Ils apercevaient à travers les nuages l’embouchure du Bosphore, les montagnes de la Mysie, et voyaient d’un autre coté serpenter le fleuve Ésèpe et s’élever au milieu des champs Népéiens la ville d’Adrastie [3].

Au milieu des arbres qui couronnaient cette montagne, un vieux cep de vigne était parvenu à une grosseur prodigieuse : on le coupa pour en faire un simulacre consacré à la déesse. Argus le tailla d’une main habile et le plaça sur une cime escarpée au pied des chênes élevés qui le recouvraient de leurs sommets. On ramassa

  1. :Ter circum accentsos, cincti fulgentibus armis,
    Decurrere rogos.
    Virg., Aen., XI, 188.
  2. ... in manibus terras . . . . irg., Géorg., II, ??
  3. Ville de la Troade, entre Parium et Priapus, vis-à-vis de Cyzique. Strabon, liv. 12 p. 575 et 588.