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ment les voies de la mer. Le divin Jason réunit des héros intrépides et se dirigea vers la Thrace fertile en bons chevaux ; il me trouva préparant ma lyre aux accens mélodieux.

Je me préparais à faire entendre les sons d’une harmonie pareille à des flots de miel et à charmer par mes chants les bêtes sauvages, les reptiles et les oiseaux. En ce moment le héros arriva dans l’antre agréable qui me servait de demeure et du fond de sa poitrine velue sa douce voix se fit entendre.

« Orphée, fils chéri de Kalliopè et d’Oiagros, toi qui règnes dans la Bistonie sur les Kikones riches en troupeaux, salut, puisque pour la première fois j’arrive aux portes de l’Hémus, au bord du Strymon, non loin des hautes vallées du Rhodope. Je suis Jason de Thessalie, le sort me fit naître du plus noble sang des Minyens, je te demande l’hospitalité. Mais accueille-moi avec amitié, avec bienveillance ; prête une oreille paisible à mes paroles et exauce ma prière. Viens avec nous sur le navire Argo affronter les profondeurs de la mer inhospitalière et les rives difficiles du Phase ; viens, tu nous montreras les routes du Pont-Euxin : ce sera une œuvre agréable aux héros qui attendent le secours de ta lyre et de ta voix divine et qui désirent t’avoir pour aide et compagnon de leurs travaux. Car ils ne se soucient point d’entreprendre sans toi une longue navigation vers des tribus barbares, puisque seul entre les hommes tu as su pénétrer dans les vaporeuses ténèbres, dans les plus profonds abîmes et jusqu’aux entrailles nues de la terre...

« Voilà pourquoi je te conjure de partager leurs souffrances et leur gloire qui seront connues de la postérité. »

Je pris la parole à mon tour et je répondis en ces termes.

« Fils d’Æson, que me proposes-tu dans tes discours ? Que, pour plaire aux héros Minyens, j’aille visiter la Colchide et que je traverse sur un navire solidement construit la noire étendue des mers ? Assez de fatigues ont été mon partage, assez de travaux j’ai accomplis, quand j’ai parcouru des régions immenses et des villes nombreuses pour aller en Égypte et en Libye révéler aux mortels les oracles des dieux. Et certes alors ma mère me sauva des périls d’une vie errante et de la passion mystérieuse qui me dévorait, pour me reconduire dans ma demeure et m’y faire attendre la mort dans le sein de la triste vieillesse. Mais il n’est point permis de fuir ce qui est fixé par le sort. J’obéis à la volonté des Destins, car il ne faut point mépriser les Prières, filles de Zeus Jupiter, protecteur des supplians. C’en est fait : j’irai prendre mon rang parmi les Demi-Dieux et les rois de la génération nouvelle. »

Alors je quittai mon antre agréable, je partis emportant ma lyre avec moi, et mes pieds agiles me conduisirent aux bords du Pagase, auprès des héros Minyens. C’est là qu’ils étaient réunis : leur assemblée couvrait les rives sablonneuses du torrent ; mais lorsqu’ils m’aperçurent au terme du chemin, ils se levèrent pour me saluer, et chacun d’eux se réjouissait dans son cœur. Or je pris la parole et je demandai les noms de ces hommes illustres.

D’abord je vis le puissant, le divin Héraclès, qui naquit de l’union d’Alcmène et de Zeus fils de Kronus, alors que le brûlant soleil déroba durant trois jours sa lumière et qu’une longue nuit couvrit le monde. Auprès de lui était Tiphys fils d’Aignias qui devait diriger le navire à la forme allongée. Sur les eaux du Permesse non loin de Thespies il avait jusqu’alors servi de nocher aux peuples de Sipha pour traverser le fleuve qui borne leur territoire : aussi une longue expérience féconde en bons conseils lui avait-elle appris à diriger un navire à travers les vents et les rapides tempêtes. Je reconnus Castor, habile à dompter les coursiers, et Polydeukès son frère ; et Mopsos de Titarè que la belle Arégonis épouse d’Ampyx mit au monde sous un hêtre dans les champs de la Chaonie ; et Pélée, illustre descendant d’Aiakos, qui régnait sur les Dolopes dans la Phtie aux fertiles guérets. Puis je vis les trois héros du sang d’Hermès : Aitalidès, qui reçut le jour d’Eupolemeia, noble fille de Myrmidon, dans la pierreuse Alopè, et avec lui Erutos et le bel Echiôn, que le dieu de Kyllênè, le meurtrier d’Argus, qui porte une baguette d’or, engendra tous deux de sa mystérieuse union avec la nymphe Laotoè de Ménetos. Ensuite s’offrirent à mes regards Actoridès et Korônos qui se nourrissait de la chair du bœuf ; et Iphiklos, divin rejeton de Phylacos, et Boutès enfant d’Ainias, semblable à Apollon qui porte une épée d’or. Le fils d’Abas, Kanthos, était aussi venu de l’île d’Eubée ; mais il succomba aux coups du destin et l’inflexible nécessité lui imposa la loi de finir ses jours en