Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
242
VIE D’ANACRÉON

croire qu’il avait composé un poëme sur la rivalité de Circé et de Pénélope. Fulgence parle d’un poëme d’Anacréon sur la lutte de Jupiter contre les Titans. Le scholiaste de Nicandre cite un ouvrage dont le sommeil est le sujet ; en outre, il lui attribue un Traité sur la médecine. Suidas et Athénée donnent encore des éloges à quelques autres productions du poëte.

Quant à la manière dont ces trésors se sont perdus, nous n’avons que des suppositions sans preuve ou des accusations mal fondées. Selon Thomas Moore[1], le spirituel traducteur d’Anacréon et son rival souvent heureux dans le délicieux badinage de la pensée, les prêtres de la primitive Église grecque, voués au même genre de poésie et jaloux de sa gloire, supprimèrent quelques-uns de ses titres à notre admiration. Les intérêts de la religion furent invoqués comme prétexte de cet acte de vandalisme ; mais il nous est permis de croire qu’une lutte inégale engagée avec un modèle inimitable leur inspira l’idée de diminuer ses forces en lui enlevant ses chefs-d’œuvre. Ainsi il nous est facile de reconnaître, d’après les premiers vers de la première hymne de l’évêque Synésius, que sa composition a été modelée sur celle d’Anacréon et de Sapho ; nous savons en outre que Margunius et Damascène écrivirent aussi des poésies anacréontiques pieuses ; et nous pouvons conclure avec Moore qu’un zèle peu éclairé, une jalousie mesquine dictèrent des arrêts de lacération pour des pages exquises et aujourd’hui inconnues du poëte de Téos.

Celles qui nous restent ont échappé pour parvenir jusqu’à nous à des actes de vandalisme souvent réitérés. Commentées par les polygraphes et les savans, elles ont subi de nombreuses annotations et se trouvent enfin environnées d’une pureté de texte remarquable. Le travail fut long et pénible. Dans le principe, Anacréon n’était connu des érudits que par quelques vers épars dans Aulu-Gelle et l’Anthologie. En 1554, Henry Estienne, ce sauveur des lettres antiques, publia une première édition composée de cinquante-cinq odes d’Anacréon recueillies dans deux manuscrits, l’un qu’il avait découvert en Italie, l’autre qui lui avait été communiqué par Jean Clément, valet de Thomas Morus. L’envie s’exerça sur cette publication : on attribua les œuvres d’Anacréon à des moines obscurs du quinzième siècle ; on contesta l’authenticité du manuscrit ; on nia même son existence, et de par les érudits le livre fut déclaré illégitime.

Enfin tous les doutes furent levés par la découverte du manuscrit du Vatican, qui paraît être du dixième siècle. Saumaise et Scaliger, savans anatomistes de tous les chefs-d’œuvre anciens, constatèrent l’authenticité de plusieurs des odes qu’il renfermait. Bexler, Isaac Vossius et Parnès en firent une copie inexacte et dénaturèrent tour à tour le texte ; Maittaire et Corneille de Paw essayèrent des réformes peu justifiées ; enfin Fischer et Brunk en donnèrent de grandes éditions très-pures et très-soignées et qui dès lors ont servi de modèle.

Anacréon a été traduit bien souvent en français. Voici la liste et la date de toutes les traductions :

Ronsard. Paris, 1555, in-8o, en vers.
Remy Belleau. Paris, 1556, in-12, en vers.
Belleau. Paris, 1578, 2  vol. in-12.
Dufour. Paris, 1660, in-12.
Mlle Lefèvre. Paris, 1691, in-12.
Longepierre. Paris, 1684, in-12, en vers.
Regnier-Desmarais. Paris, 1700, in-8o.
De La Fosse. Paris, 1704, in-12.
Le poëte sans fard (François Gacon). Roterdam, 1712, in-12, en vers.
De Seillans. Paris, 1754, in-8o, en vers.
Poinsinet de Sivry. Paris, 1758, en vers.
Moutonnet-Clairfons. Paris, 1773, in-8o.
Gail. Paris, 1794, in-18.
Anson. Paris, 1795, in-18.
Defrance, née Chompré. Paris, 1797, in-18.
Coupé, dans ses Soirées littéraires, 1797.
Mérard-Saint-Just ; 1797, in-8o, en vers.
Chabanel, Paris, 1797, in-12, en vers languedociens.
Bergeron. Paris, 1818, in-18, en vers.
Saint-Victor ; 1810, in-8o. Paris, 1813, 1818, 1822, en vers.
Hardouin. Paris, 1812, in-12.
Mollevaut. Paris, 1818, in-18.
Mme Vien. Paris, 1825, in-18.
Girodet. Paris, 1825, in-4o.
Veissier-Descombes. Paris, 1827, in-16, en vers.
Fauche, Paris, 1831, in-8o, en vers.
D’Attel de Lutange. Paris, 1833, in-4o.
Lyon, polyglotte, in-4o, 1835.

Nous terminerons cette notice en traduisant du grec une petite ode sur Anacréon qui refléchit toute sa grâce et fait comprendre sa manière :

« J’ai cru pendant un songe qu’Anacréon me regardait et m’appelait. Soudain je cours vers le chantre mélodieux de Téos, je le presse sur mon cœur, je l’embrasse. Quoique déjà vieux, il avait encore de la fraîcheur. La volupté brillait dans ses yeux ; ses lèvres exhalaient l’odeur du vin ; l’amour lui donnait la main et dirigeait ses pas chancelans. Alors ce poëte prend sa couronne, m’en fait présent : elle sentait Anacréon. Je la tiens à peine que je la mets sur mon front : quelle imprudence ! depuis cet instant je n’ai cessé d’aimer. »

  1. Moore, Works 203-204-293.