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les lances des orgueilleux Phéniciens, je verrais Etna, cette illustre cité, sans cesse entre la vie et la mort par leurs cruelles tentatives, jouir désormais sous ta protection d’un sort prospère. Daigne donc, je t’en conjure, accorder à ses citoyens la plus désirable des richesses, celle d’être gouvernés par la justice des lois et de cultiver en paix les arts utiles. Elle nourrit dans son sein des hommes courageux, habiles à dompter les coursiers, et dont l’âme est assez élevée pour préférer la gloire aux dons d’une aveugle fortune. Désintéressement qui paraîtra incroyable parce que l’amour du gain se glisse secrètement dans les cœurs et en bannit cette noble pudeur, compagne de la gloire.

Ô vous ! qui prêtez l’oreille à mes chants, si vous eussiez été l’écuyer de Chromius, vous l’eussiez vu dans la chaleur d’une action, combattre avec intrépidité, ici à pied dans les rangs, ailleurs à cheval, ou sur l’élément perfide ; partout le sentiment de l’honneur enflammait son courage et l’excitait à éloigner de sa patrie le terrible fléau de Bellone. Peu d’hommes surent comme lui, allier au milieu du carnage, la bravoure et la présence d’esprit si nécessaires pour semer dans les rangs ennemis le désordre et la terreur. Hector seul posséda cette précieuse qualité ; c’est à elle qu’il dut cette gloire florissante dont furent témoins les bords du Scamandre. C’est à elle aussi que le jeune fils d’Agésidame fut redevable de l’honneur dont il se couvrit sur les rives escarpées du profond Hélore, dans ce lieu surnommé depuis le gué de Mars.

Un jour je célébrerai ses autres exploits, ces nombreux combats où il signala sa vaillance dans les champs poudreux et sur les mers qui baignent le rivage d’Etna. Les travaux de la jeunesse, quand ils sont dirigés par la justice, préparent à la vieillesse des jours calmes et sereins. Que Chromius soit donc assuré que les dieux lui réservent une félicité digne de l’admiration des hommes. Quand, à d’immenses richesses, un mortel réunit l’éclat de la gloire, il ne lui est pas permis de prolonger sa course au delà.

De même que les festins sont amis de la douce paix, ainsi les couronnes de la victoire s’embellissent par les accens de la poésie. Au milieu des coupes, la voix prend un essor plus libre. Versez donc à l’instant l’agréable liqueur qui inspire nos chants ; que le jus pétillant de la vigne remplisse ces coupes d’argent que les coursiers de Chromius lui ont méritées avec des couronnes tressées par Thémis aux jeux sacrés que célèbre Sicyone en l’honneur du fils de Latone.

Puissant Jupiter, fais que les Grâces répandent tant d’éclat sur mes hymnes, qu’ils élèvent au-dessus de mille autres la vertu et le triomphe de Chromius ! Père des dieux et des hommes, puissé-je avoir atteint le but que s’est proposé ma Muse !

X.

À THIÉUS, FILS D’ULIUS,

Vainqueur à la lutte.

Grâces, chantez la cité où régna Danaüs sur un trône entouré des cinquante filles dont il fut le père ; chantez Argos, séjour digne de la majesté de l’auguste Junon. Les hauts faits de ses intrépides enfans ont élevé Argos au comble de la gloire ; qui pourrait raconter les exploits de Persée contre Méduse, l’une des Gorgones, et compter les cités célèbres qu’Épaphus fonda en Égypte ? Que dirai-je de cette Hypermnestre, qui seule d’entre ses sœurs refusa d’armer son bras d’un glaive homicide ? Minerve aux yeux bleus éleva Diomède au rang des immortels ; la terre entr’ouverte par la foudre de Jupiter engloutit, près de Thèbes, le devin fils d’Oïclée, lorsque semblable à l’orage, il menaçait la ville aux sept portes ; Argos enfin, entre toutes les villes de la Grèce, n’est pas moins féconde en jeunes beautés : témoins Alcmène et Danaé que Jupiter jugea dignes de jouir de ses tendres embrassemens. Ce dieu lui-même accorda au père d’Adraste et à Lyncée les inappréciables vertus, la justice et la sagesse.

Argos fut le berceau du valeureux Amphitryon, qui eut le bonheur de mêler son sang à celui du divin fils de Saturne. Amphitryon vainquit les Téléboens aux armes d’airain ; et ce fut sous sa figure que le roi des immortels entra dans le palais de ce prince pour donner naissance à l’invincible Hercule, qui partage dans l’Olympe la couche d’Hébé, la plus belle des nymphes que Junon vit à sa suite. Pour rappeler tous les faits glorieux dont l’heureuse Argos fut le théâtre, ma langue tenterait d’inutiles efforts ; il serait d’ailleurs dangereux pour moi d’engendrer la satiété.

Élève donc, ô ma Muse ! élève les accens de la lyre pour chanter dignement les luttes et