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indigne de mes héros. Ainsi donc, ô ma Muse ! bande ton arc, et fais voler un trait vers ce noble but ; que tes hymnes, portés sur les ailes des vents, retentissent au loin. Ce sont les chants des poëtes et les récits de l’histoire qui transmettent à la postérité les hauts faits des grands hommes qui nous ont devancés dans le tombeau. Et où trouver ailleurs plus d’illustres actions que dans la famille des Bassides ? Quel vaste champ d’éloges n’offre pas son antique gloire aux sages favoris des filles du Piérus ! C’est de son sein qu’est sorti ce Callias qui, armé du pesant gantelet, remporta la victoire dans Pytho. Chéri des enfans de Latone à la quenouille d’or, il entendit près de Castalie, au milieu des chœurs des Grâces, ses amis répéter ses louanges jusqu’au lever de l’étoile du soir. Il fut encore le théâtre de sa victoire cet isthme fameux qui, semblable à une digue, sépare à jamais les deux rivages de l’infatigable élément ; là, près du bois sacré de Neptune, il fut couronné de la main des Amphictyons dans ces jeux que tous les trois ans on voit reparaître ; enfin, au pied de ces monts antiques, qui, de leurs sombres forêts, ombragent Phliunte, il ceignit sa tête de cette couronne dont l’herbe rappelle le vainqueur du lion de Némée.

De toutes parts l’illustre Égine ouvre à mon génie des routes magnifiques à parcourir ; de toutes parts elle offre une ample matière à mes chants. Les nobles enfans d’Éaque, par leurs vertus héroïques, se sont fait une grande, une immortelle destinée. Volant sur la terre et par delà les mers, leur renommée est parvenue jusqu’en ces contrées qu’habitent les Éthiopiens ; elle leur apprit le funeste sort de leur roi Memnon et l’affreux combat où Achille, descendant de son char, perça de sa lance homicide ce fils de la brillante Aurore.

Mais pourquoi dans mes vers suivrais-je la route où mille poëtes avant moi ont aussi traîné le char triomphal des Éacides ? Que le nautonier pâlisse à la vue des flots écumeux qui battent les flancs de son navire ; moi je ne plierai pas sous le double fardeau dont je me suis chargé, et je proclamerai la victoire que pour la vingt cinquième fois cette illustre famille vient de remporter dans les combats que la Grèce appelle sacrés.

O Alcimide ! tu viens de répandre un nouveau lustre sur la noblesse de ton sang, malgré la jalouse fortune qui a ravi à ta jeunesse, ainsi qu’à Tisnidas ton émule, deux couronnes auprès du bois de Jupiter Olympien. Quant à Mélésias qui t’a formé, je dirai que cet habile écuyer a la légèreté du dauphin qui rase avec vitesse la surface des mers.

VII.

AU JEUNE SOGÈNE, D’ÉGINE,

Vainqueur au pentathle.

O toi qui sièges à côté des Parques aux impénétrables pensées, fille de la puissante Junon, Ilithye, protectrice des nouveaux nés, prête l’oreille à mes accens. Sans toi, sans ton secours, nous n’eussions jamais connu ni la clarté du jour, ni le repos de la nuit, ni la florissante Hébé, ta sœur, déesse de la jeunesse.

Mais les mortels ne naissent pas tous pour une égale félicité : mille accidens font pencher en sens contraire la balance de leur sort. Cependant c’est à toi que Théarion dut la naissance de Sogène, dont la force invincible a mérité d’être proclamée par les juges et de recevoir au pentathle le prix de la lutte. Aussi ce jeune vainqueur reconnaît-il pour patrie celle des Éacides à la lance redoutable, cette Égine dont les citoyens brûlent à l’envi de perpétuer leur gloire dans nos combats solennels.

Le mortel que distinguent ses nobles travaux fournit une agréable matière aux chants des Muses : car les plus belles actions sont enveloppées de ténèbres épaisses, si elles ne sont point célébrées par les charmes de la poésie, où elles se réfléchissent comme dans un miroir fidèle ; alors seulement elles sont consacrées dans les fastes de Mnémosyne, qui ceint sa tête de brillantes bandelettes, et trouvent dans nos hymnes la douce récompense des fatigues qu’elles ont coûtées.

Le sage imite la prudence du pilote, que l’appât du gain ne peut déterminer à braver les flots avant d’avoir éprouvé pendant trois jours la constance des vents. Il sait que, riches ou pauvres, les mortels viennent également se confondre dans la tombe, mais avec la différence de la renommée. Ainsi je soutiens qu’Homère a immortalisé Ulysse et lui a acquis par ses chants une célébrité au-dessus de ses travaux. Mais ce poëte divin nous présente avec tant de charmes ses mensonges ingénieux, il sait si bien