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il nous dit qu’il est Euripyle, fils du dieu dont l’humide empire environne et ébranle la terre ; et, voyant notre empressement à partir, il détache du sol une glèbe et nous la présente comme le seul gage d’hospitalité qu’il puisse nous donner en ce moment. Euphémus à l’instant s’élance sur le rivage, et, joignant sa main à celle du vieillard, il en reçoit le don mystérieux.

» Depuis j’ai appris que cette glèbe est tombée dans les flots, où elle s’est dissoute, entraînée par les flots de la mer d’Hespérie. Plus d’une fois cependant j’avais ordonné aux esclaves qui nous soulageaient dans les travaux d’une pénible navigation de conserver cette glèbe sacrée ; ils ont oublié mes ordres, et l’immortelle semence, apportée de la spacieuse Libye, s’est dispersée avant le temps sur le rivage de Théra.

» Si Euphémus, ce grand roi qu’Europe, fille de Tityus donna pour fils à Neptune sur les bords du Céphise, l’eût jetée à son retour dans Ténare sa patrie, près de la bouche souterraine des enfers, ses descendans à la quatrième génération, mêlant leur sang avec celui des Grecs, se seraient emparés de cette terre vaste et féconde (car c’est à cette époque qu’on verra sortir de leur territoire de nombreuses colonies de Lacédémone, d’Argos et de Mycènes). Mais maintenant cet honneur est réservé aux fils des femmes étrangères ; ils aborderont à Théra sous la conduite des dieux, et d’eux naîtra un héros qui régnera sur cette terre fécondée par les orages. Ce héros se rendra au temple de Delphes, pour y consulter Apollon ; et dans son sanctuaire tout resplendissant d’or, le dieu lui ordonnera de traverser les mers et de conduire une colonie dans cette terre que le Nil fertilise de ses eaux, et où s’élève le temple du fils de Saturne. »

Ainsi parla Médée ; les héros, saisis d’admiration, écoutèrent en silence le mystérieux langage. Fils heureux de Polymneste, c’est toi, Battus, que désignaient ces accens prophétiques ; c’est toi qu’appela à ces hautes destinées la voix inspirée de la prêtresse de Delphes : et, au moment où tu lui demandais comment tu pourrais, avec l’aide des dieux, délier ta langue embarrassée, la prêtresse, te saluant trois fois, te reconnut pour le roi que le Destin réservait à Cyrène.

Et maintenant le huitième rejeton de cette tige féconde en héros, Arcésilas brille, tel qu’une fleur purpurine qui s’épanouit à l’approche du printemps. Apollon et Pytho viennent de lui décerner par la voix des Amphictyons la palme de la course des chars ; je vais à mon tour, par le chant des Muses, illustrer sa gloire et celle des Argonautes Minyens, qui, par l’ordre des immortels, conquirent au delà des mers la toison d’or et se couvrirent d’une gloire impérissable.

Quelle fut la cause de cette célèbre navigation ? quelle nécessité insurmontable y entraîna tant de héros, malgré les périls dont elle était semée ? Un oracle avait prédit à Pélias qu’il périrait par les mains ou par les conseils inflexibles des fils d’Éole. Cet arrêt funeste lui fut annoncé dans les bosquets sacrés de Pytho, centre de la terre : « Évite soigneusement la rencontre du mortel qui, étranger et citoyen en même temps, descendra des montagnes n’ayant aux pieds qu’un cothurne, et qui, marchant vers l’occident, entrera dans la célèbre Iolcos. »

Au temps fixé par le Destin, il parut cet homme inconnu, sous les dehors d’un guerrier formidable. Il porte des armes dans sa main ; un double vêtement le couvre : une tunique magnésienne qui dessine les belles formes de ses membres nerveux, et par-dessus une peau de léopard qui le garantit des pluies et des frimas. Sa superbe chevelure n’était point tombée sous le tranchant du fer, elle flottait négligemment sur ses épaules. Intrépide, il s’avance d’un pas ferme et s’arrête avec une contenance assurée au milieu de la foule qui remplissait la place publique.

Il n’est connu de personne, mais tous, à sa vue, saisis de respect, se disaient : « Ne serait-ce point Apollon, ou l’amant de la belle Vénus, Mars, qui vole sur un char d’airain dans les combats ? Ce ne peut être Otus, un des enfans d’Iphimédée, ni toi, valeureux Éphialte, car on dit que vous êtes morts dans la fertile Naxos. Ce n’est pas non plus Tityus : les flèches de l’invincible Diane l’ont privé de la vie pour apprendre aux mortels à borner leur amour à des objets qu’il leur est permis d’atteindre. » Ainsi parlaient entre eux les habitans d’Iolcos.

Cependant Pélias, monté sur un char brillant traîné par des mules, se hâte d’arriver. Étonné à la vue de l’unique chaussure qui couvre le pied droit de l’étranger, il rappelle dans sa mémoire l’oracle qui lui fut prononcé ; mais dissimulant sa frayeur : « Quelle terre, dit-il,