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et la fortune sur le trône où elle t’a élevé te regarde d’un œil favorable, plus qu’aucun autre mortel. Mais quelle vie se soutint constamment à l’abri des orages ? Ni Pélée, le vaillant fils d’Éaque, ni le divin Cadmus n’en furent exempts. Ces deux héros cependant passent pour avoir possédé le bonheur suprême : tous deux entendirent chanter les Muses, et dans Thèbes aux sept portes, et sur le Pélion, Cadmus, lorsqu’il épousa la brillante Harmonie, Pélée, quand il unit son sort à Thétis, l’illustre fille du sage et prudent Nérée. Tous deux virent les dieux s’asseoir sur des sièges d’or au banquet de leur hyménée, et reçurent de leurs mains les présens de noces. Tous deux enfin, consolés de leurs revers par un bienfait de Jupiter, rouvrirent à la joie leurs cœurs flétris par le vent du malheur.

Mais voici venir de nouveau pour eux un temps d’épreuves et de calamités : les trois filles de Cadmus, par de tragiques aventures, éloignèrent de leur père tout espoir de bonheur, quoique Jupiter eût honoré de sa présence la couche de Thyonée aux bras éclatans de blancheur. Le fils que l’immortelle Thétis donna à Pélée dans Phthie, atteint d’une flèche meurtrière, perdit la vie dans les combats, et les Grecs en deuil pleurèrent sur son bûcher.

Que le sage, fidèle aux inspirations de la vérité, profite donc du présent et jouisse du bonheur que les dieux lui accordent. Rien de plus inconstant que le souffle impétueux des vents ; ainsi la félicité des mortels n’est jamais durable.

Pour moi, que la fortune me sourie ou qu’elle me poursuive de ses rigueurs, on me verra toujours simple avec les petits, grand avec les grands, borner ou étendre mes désirs ; et, sans murmurer, me soumettre à la condition où l’aveugle déesse m’aura placé. Mais si jamais un dieu me prodiguait d’abondantes richesses, ma gloire alors et celle de mon bienfaiteur passerait à la postérité la plus reculée. Ainsi vivent dans la mémoire des hommes et Sarpédon et Nestor que les plus sages favoris des Muses ont à jamais illustrés dans leurs chants ; ainsi la vertu devient immortelle. Mais peu d’hommes sont capables de la célébrer dignement.


IV.

À ARCÉSILAS DE CYRÈNE,

Vainqueur à la course des chars.

Muse, ce jour t’appelle près d’un mortel que tu chéris, près d’Arcésilas, roi de Cyrène aux agiles coursiers ; pars, et, au milieu des chœurs qu’il conduit, fais entendre cet hymne solennel, dont l’hommage appartient encore au fils de Latone et à Delphes. Ce fut dans le temple de cette cité célèbre, que la Pythie, assise près des aigles de Jupiter et inspirée par Apollon, ordonna à Battus de quitter l’île sacrée qui l’avait vu naître, pour aller fonder une ville fameuse par ses chars, dans la féconde Lybie, où la terre sans cesse prodigue les trésors de son sein.

Ainsi s’accomplit l’oracle que prononça jadis dans Théra la reine de Colchos, l’impitoyable Médée, sur les descendans à la dix-septième génération des demi-dieux compagnons du belliqueux Jason : « Enfans des dieux et des héros, écoutez : Un jour viendra que sur cette terre battue par les ondes, non loin des lieux consacrés à Jupiter-Ammon, la fille d’Épaphus fondera une cité chère aux mortels, d’où naîtront à leur tour d’autres cités puissantes. Au lieu des dauphins agiles, ses habitans auront de légers coursiers ; au lieu de rames, des freins et des rênes, au lieu de vaisseaux, des chars aussi rapides que la tempête. Théra deviendra la métropole des cités florissantes ; j’en ai pour garant le présage qu’autrefois reçut Euphémus, non loin des bords du marais Triton, lorsque, descendu de la proue du navire Argo, au moment où l’ancre aux dents d’airain le fixait sur le rivage, il reçut une glèbe mystérieuse, que lui offrit en signe d’hospitalité un dieu caché sous une figure humaine. Pour confirmer cet augure le fils de Saturne fit retentir sur nos têtes les éclats de son tonnerre.

» Déjà la douzième aurore avait brillé depuis qu’échappés aux flots de l’Océan nous avions porté sur la plage déserte les bois du navire Argo séparés par mes conseils, lorsque ce dieu solitaire s’offre à nous sous les traits d’un vieillard vénérable. Il nous adresse des paroles amicales, comme le font les hommes bienfaisans qui invitent d’abord les étrangers à leur table hospitalière. Mais l’impatience où nous étions de revoir notre patrie ne nous permettait pas de nous rendre à ses offres généreuses ; alors