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Quelque part que le sort te porte, ô Agésias, que les dieux t’accordent d’illustres destinées ! Puissant maître des mers, époux d’Amphitrite (30) à la quenouille d’or, donne à mon héros une heureuse navigation, et accrois de plus en plus la gloire de mes chants.

VII.

À DIAGORAS (1) DE RHODES (2),

Vainqueur au pugilat (3).

Tel qu’on voit un père magnifique dans ses largesses, remplir d’un vin pétillant une coupe d’or massif, le plus riche ornement de sa table, l’effleurer de ses lèvres, et, l’offrant au jeune époux de sa fille, comme un présent digne d’être transmis de famille en famille, honorer par ce don l’alliance qu’il contracte et rendre ses amis jaloux d’un hymen si fortuné : ainsi je me plais à abreuver du nectar des Muses les athlètes victorieux, et par les doux fruits de mon génie, j’enivre de joie les héros couronnés à Delphes et à Olympie.

Oh ! qu’heureux sont les mortels dont la renommée publie au loin la gloire ! Tour à tour la victoire jette sur eux un regard favorable, et les grâces de la poésie mêlées aux tendres accords de la lyre et de mille instrumens sèment de fleurs le sentier de leur vie.

Je vais donc te chanter aujourd’hui au son éclatant des flûtes, aux douces mélodies de ma lyre, fille de Vénus (4), Rhodes, puissante reine des mers et épouse du Soleil.

J’unirai ton éloge à celui de Diagoras en célébrant les trophées de cet (5) invincible athlète, que viennent d’ennoblir la palme du pugilat, sur les bords de l’Alphée, et celles qu’on décerne aux (6) sources sacrées de Castalie.

Mes chants n’omettront point Démagète, son père, dont (7) l’équité est bénie en cent lieux. Tous deux habitent cette île aux (8) trois florissantes cités qui s’élèvent sur les côtes de la vaste Asie, non loin du promontoire (9) où se réfugia l’élite des enfans d’Argos.

Je veux, en commençant leur commun éloge, remonter jusqu’à Tlépolème, issu du grand Hercule.

Par son père, le sang même de Jupiter coule dans leurs veines ; du côté d’Astydamie, leur mère, ils sont de la race d’Amyntor.

Mais pourquoi faut-il que l’erreur assiège sans cesse le cœur des faibles mortels ! Et quel est celui qui, parvenu au terme de sa carrière, peut se glorifier de s’être toujours arrêté au parti le plus avantageux ? Fondateur de cette colonie, on le vit jadis à Tirynthe, dans un transport de colère (10), tuer d’un coup de massue Licymnius, frère d’Alcmène, issu de la Phrygienne Médée.

Hélas ! des passions tumultueuses peuvent donc à ce point égarer l’âme d’un sage.

Il part aussitôt pour consulter l’oracle. Le dieu à la blonde chevelure, du fond de son sanctuaire odorant, lui commande de quitter le rivage de Lerne et de diriger sa course vers (11) cette terre que la mer environne de toutes parts, où le souverain puissant des dieux fit tomber une pluie d’or lorsque, par le secours de l’industrieux Vulcain, Minerve s’élança de son cerveau en poussant un cri qui fit frémir et la terre et les cieux.

À la vue de ce prodige, le dieu qui verse la lumière, le dieu (12) fils d’Hypérion ordonna à ses enfans d’acquitter à l’avenir une dette à jamais sacrée, d’élever aussitôt un autel et d’honorer (13) les premiers, par d’augustes sacrifices, le puissant Jupiter et sa fille à la lance frémissante. Le respect que les hommes ont pour la volonté des dieux est le garant de leurs vertus et de leur bonheur.

Cependant un oubli funeste des ordres du divin Apollon aveugla l’esprit des Rhodiens et les écarta de la route qu’ils auraient dû suivre : ils font de leur citadelle un temple et immolent des victimes sans avoir le feu sacré (14) pour les consumer. Soudain Jupiter les enveloppe d’une nuée lumineuse et verse sur eux une abondante pluie d’or.

Dès cet instant, la déesse satisfaite leur accorda le don de surpasser (15) par leur adresse tous les autres peuples ; dès lors leurs places publiques furent ornées de statues magnifiques semblables à des hommes vivans ; dès lors enfin leur gloire s’étendit par toute la terre.

L’homme habile a d’autant plus de talent qu’il n’a pas recours à de vains (16) artifices.