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En 1689, un professeur de Nuremberg, nommé Eschenbach, jeune et plein d’enthousiasme pour un nom aussi célèbre que celui d’Orphée, publia à Utrecht une petite édition in-12 des trois ouvrages qu’on donne à l’antique législateur de la Thrace, avec une version latine presque littérale, des remarques grammaticales et historiques en petit nombre, et les notes de Henri Estienne et de Joseph Scaliger[1]. Critiqué par le savant Leclerc[2] avec une sévérité qui annonçait une plume rivale plutôt qu’une plume amie du bon goût, il ne se découragea point et fit paraître en 1611, sous le nom d’Épigène, un autre monument en l’honneur du grand homme dont il semblait avoir épousé la gloire[3].

Cet Épigène, que son auteur fut dix ans à composer, offre quelques détails précieux sur les nombreux ouvrages d’Orphée dont il nous reste quelques fragmens, ainsi que sur ceux que le laps des siècles a totalement anéantis, et en particulier sur l’Oronismoi, qui traite des symboles des mystères, sur le Kraterès ou l’âme du monde et sur la Théogonie. Je ne me dissimule pas que le dissertateur n’est ni un Henri Estienne en hellénisme ni un Fréret en critique. Il veut étaler son érudition plutôt qu’instruire ses lecteurs : il cite toutes les doctrines philosophiques à propos d’Orphée plutôt qu’il n’analyse celles de cet homme célèbre, et l’on est toujours sûr, quand il consacre dix pages à l’examen d’un fragment, que son opinion sur le fragment même ne se trouve que dans les dernières lignes. Malgré ce tribut qu’il paie au mauvais goût de son temps, il y a dans son livre beaucoup de recherches et quelques traits de lumières ; ce qui lui donne des droits non-seulement aux égards du dix-neuvième siècle, mais encore à sa reconnaissance.

Malgré l’Épigène, Orphée ne put faire secte en Europe comme Aristote : sa gloire même semblait se traîner lentement, grâce au silence de ses admirateurs, lorsqu’une nouvelle édition, publiée en 1764, à Leipsick, par les soins du savant Gesner, réveilla l’enthousiasme endormi et donna à l’homme de lettres qui n’arbore aucun drapeau les moyens d’apprécier un bienfaiteur des hommes, que depuis près de deux mille ans on ne semblait louer ou critiquer que sur parole.

Cette édition a pour titre Orpheos Apanta[4], et quoique ce soit un simple in-8o de 626 pages, on y trouve non-seulement Orphée, tel qu’il nous reste, tout entier, mais encore un travail sur cet écrivain, que deux siècles auparavant plusieurs volumes in-folio auraient à peine pu contenir.

Mathias Gesner, dont le nom rappelle plus d’un service rendu, soit à la poésie allemande, soit à l’histoire naturelle, soit à l’art numismatique, avait semblé faire dépendre sa renommée de cet ouvrage ; il y travailla un grand nombre d’années avec un zèle infatigable et mourut avant qu’il fût terminé. Ce fut son ami Hamberger qui le publia à Leipsick, il y a soixante-quatorze ans ; et quand celui-ci l’appela dans sa préface un homme immortel, il ne fondait que sur ce titre son immortalité.

Gesner, outre les manuscrits allemands, hollandais et français qu’il avait collationnés, avait travaillé sur deux autres infiniment précieux, celui de Vossius que possède la bibliothèque de Leyde et celui que le savant anglais Askew avait apporté de Grèce dans sa patrie : ainsi son texte ne pouvait être plus pur, et c’était un grand service rendu aux lettres, quand il s’agissait d’un ouvrage dont les altérations et les interpolations faisaient soupçonner l’authenticité.

L’édition est précédée de Prolégomènes lus en 1759 à l’académie de Goettingue, et qui sont d’autant plus substantiels que l’auteur a renfermé beaucoup de choses en dix pages.

Le poëme des Argonautes vient ensuite ; le texte grec s’y trouve en regard avec une traduction latine, assez élégante quoique littérale, et des notes critiques et grammaticales qui forment à elles seules la moitié des pages. Tout est de Gesner, à l’exception du texte grec ; encore ce texte a si peu de rapport avec l’édition princeps qu’on pourrait l’appeler aussi son ouvrage.

Les Hymnes suivent le poëme épique ; le travail de Gesner est le même, à l’exception de la traduction en vers latins, qui est du fils du fameux Jules-César Scaliger. Ces hymnes sont au nombre de vingt-six et ne forment qu’une très-petite partie de l’héritage de gloire du législateur de la Thrace.

On lit ensuite le petit ouvrage versifié sur les Pierres, dont le savant éditeur a retouché la version latine et qu’il a accompagné de notes d’une haute érudition. Quant aux fragmens d’Orphée ou sur Orphée, que Henri Estienne avait tirés des anciens et qui sont au nombre de cinquante, Gesner se contente de les donner dans la langue originale.

Ce grand travail est terminé non-seulement par un index très-bien fait, de plus de cent pages, sur la collation des manuscrits d’Orphée, mais encore par une dissertation latine d’une sage critique sur les navigations des Phéniciens au delà des colonnes d’Hercule.

Ainsi, quelques textes épars dans les écrivains de

  1. Orphei Argonautica, Hymni, et de Lapidibus, curante Andrea Christiano Eschenbachio, noribengerse, cum ejusdem ad Argonautica notis et emendationibus ; accedunt Henrici Stephani in omnia et Josephi Scaligeri in Hymnos notæ. Trajecti ad Rhenum, apud Guillelmum Vande Water 1689.
  2. Bibliothèque universelle, t. XV.
  3. Andr. Christian. Eschenbach Epigenes de poesi orphica, in priscas orphicorum carminum memorias liber commentarius. Noribergæ, 1611, in-4o. Cet ouvrage précieux pour le temps est très-rare, même en Allemagne.
  4. Le second titre est : Orphei Argonautica, Hymni, libellus de Lapidibus et Fragmenta, cum notis H. Stephani et Andr. Christ. Eschenbachii : textum ad eodd. Mss. et editiones veteres recensuit, notas suas et indicem græcum adjecit, Jo. Mathias Gesnerus, curante Hambergero. Lipsiæ, sumptibus Fritsch, 1764.