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malheur à ceux qui l’ont chassée et n’ont pas jugé avec droiture. Mais ceux qui, rendant une justice égale aux étrangers et à leurs concitoyens, ne s’écartent pas du droit sentier, voient fleurir leur ville et prospérer leurs peuples ; la paix, cette nourrice des jeunes gens (18), règne dans leur pays, et jamais Jupiter à la large vue ne leur envoie la guerre désastreuse. Jamais la famine ou l’injure n’attaque les mortels équitables : ils célèbrent paisiblement leurs joyeux festins ; la terre leur prodigue une abondante nourriture ; pour eux, le chêne des montagnes porte des glands sur sa cime et des abeilles dans ses flancs ; leurs brebis sont chargées d’une épaisse toison et leurs femmes mettent au jour des enfans qui ressemblent à leurs pères (19) ; toujours riches de tous les biens, ils n’ont pas besoin de voyager sur des vaisseaux, et la terre fertile les nourrit de ses fruits. Mais quand des mortels se livrent à l’injure funeste et aux actions vicieuses, Jupiter à la large vue leur inflige un prompt châtiment : souvent une ville entière est punie à cause d’un seul homme qui commet des injustices et des crimes (20) ; du haut des cieux, le fils de Saturne déchaîne à la fois deux grands fléaux, la peste et la famine, et les peuples périssent ; leurs femmes n’enfantent plus et leurs familles décroissent par la volonté de Jupiter, roi de l’Olympe, qui détruit leur vaste armée, renverse leurs murailles ou punit leurs vaisseaux en les engloutissant dans la mer.

Rois ! vous aussi, redoutez un pareil châtiment, car les immortels, mêlés parmi les hommes, aperçoivent tous ceux qui s’accablent mutuellement par des arrêts iniques sans craindre la vengeance divine. Par l’ordre de Jupiter, sur la terre fertile, trente mille génies, gardiens des mortels, observent leurs jugemens et leurs actions coupables, et, revêtus d’un nuage, parcourent le monde entier. La Justice, fille de Jupiter, est une vierge auguste et respectée des dieux habitans de l’Olympe ; lorsqu’un insolent ose l’outrager, soudain, assise auprès de Jupiter, puissant fils de Saturne, elle se plaint de la méchanceté des hommes et le conjure de faire retomber sur le peuple les fautes des rois qui, dans leurs criminelles pensées, s’écartent du droit chemin et prononcent d’injustes sentences. Pour éviter ces malheurs, ô rois dévorateurs de présens ! redressez vos arrêts et oubliez entièrement le langage de l’iniquité. L’homme qui fait du mal à autrui s’en fait aussi à lui-même ; un mauvais jugement est toujours terrible pour le juge. L’œil de ce Jupiter, qui voit et découvre tout, contemple notre procès si telle est sa volonté ; il n’ignore pas quel débat s’agite dans l’enceinte de notre ville. Puissions-nous maintenant, mon fils et moi, ne pas être justes aux yeux des mortels, puisque la justice n’attire plus que des malheurs, puisque l’homme le moins équitable obtient le plus de droits ! Mais je ne pense pas que Jupiter, maître de la foudre, tolère de semblables abus.

O Persès ! grave bien mes conseils au fond de ton esprit. Écoute la voix de la justice et renonce pour toujours à la violence : telle est la loi (21) que le fils de Saturne a imposée aux mortels. Il a permis aux poissons, aux animaux sauvages, aux oiseaux rapides de se dévorer les uns les autres, parce qu’il n’existe point de justice parmi eux ; mais il a donné aux hommes cette justice, le plus précieux des bienfaits. Si dans la place publique, un juge veut parler avec droiture et avec prudence, Jupiter à la large vue lui accorde la richesse ; mais s’il se parjure volontairement, s’il blesse l’équité par de faux témoignages, il subit des maux sans remède ; la gloire de sa postérité s’obscurcit d’âge en âge, tandis que d’âge en âge la postérité de l’homme juste devient plus illustre. Écoute mes utiles conseils, imprudent Persès ! Rien n’est plus aisé que de se précipiter dans le vice : le chemin en est court et nous l’avons près de nous ; mais les dieux immortels ont baigné de sueurs la route de la vertu : cette route est longue, escarpée et d’abord hérissée d’obstacles ; mais quand on touche à son sommet, elle devient facile, quoique toujours pénible.

Le plus sage est celui qui, jugeant tout par lui-même, considère les actions qui seront les meilleures lorsqu’il les aura terminées. L’homme docile aux bons conseils est encore digne d’estime ; mais celui qui ne sait pas s’éclairer par sa propre sagesse et refuse d’écouter les avis des autres est entièrement inutile sur la terre. Quant à toi, Persès ! ô rejeton des dieux (22) ! garde l’éternel souvenir de mes avis : travaille si tu veux que la Famine te prenne en horreur et que l’auguste Cérès à la belle couronne, pleine d’amour envers toi, remplisse tes granges de moissons. En effet, la Famine