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Robustes comme le frêne, ces hommes, violens et terribles, ne se plaisaient qu’aux injures et aux sanglans travaux de Mars ; ils ne se nourrissaient pas des fruits de la terre, et leur cœur impitoyable avait la dureté de l’acier. Leur force était immense, indomptable, et des bras invincibles s’allongeaient de leurs épaules sur leurs membres nerveux. Ils portaient des armes d’airain ; l’airain composait leurs maisons ; ils ne travaillaient que l’airain, car le fer noir n’existait pas encore. Égorgés par leurs propres mains, ils descendirent dans la ténébreuse demeure du froid Pluton sans laisser un nom après eux. Malgré leur force redoutable, la sombre Mort les saisit et ils quittèrent la brillante lumière du soleil.

Quand la terre eut aussi renfermé leur dépouille dans son sein, Jupiter, fils de Saturne, créa sur cette terre fertile une quatrième race plus juste et plus vertueuse (11), la céleste race de ces héros que l’âge précédent nomma les demi-dieux dans l’immense univers. La guerre fatale et les combats meurtriers les moissonnèrent tous, les uns lorsque, devant Thèbes aux sept portes (12), sur la terre de Cadmus, ils se disputèrent les troupeaux d’OEdipe (13) ; les autres lorsque, franchissant sur leurs navires la vaste étendue de la mer, armés pour Hélène aux beaux cheveux, ils parvinrent jusqu’à Troie, où la mort les enveloppa de ses ombres. Le puissant fils de Saturne, leur donnant une nourriture et une demeure différentes de celles des autres hommes, les plaça aux confins de la terre. Ces héros fortunés, exempts de toute inquiétude, habitent les îles des bienheureux (14) par delà l’océan aux gouffres profonds, et trois fois par an la terre féconde leur prodigue des fruits brillans et délicieux.

Plût aux dieux que je ne vécusse pas au milieu de la cinquième génération ! Que ne suis-je mort avant ! que ne puis-je naître après ! C’est l’âge de fer (15) qui règne maintenant. Les hommes ne cesseront ni de travailler et de souffrir pendant le jour, ni de se corrompre pendant la nuit ; les dieux leur enverront de terribles calamités. Toutefois, quelques biens se mêleront à tant de maux. Jupiter détruira cette race d’hommes doués de la parole lorsque presque dès leur naissance leurs cheveux blanchiront. Le père ne sera plus uni à son fils, ni le fils à son père, ni l’hôte à son hôte, ni l’ami à son ami ; le frère, comme auparavant, ne sera plus chéri de son frère ; les enfans mépriseront la vieillesse de leurs parens. Les cruels ! ils les accableront d’injurieux reproches sans redouter la vengeance divine. Dans leur coupable brutalité, ils ne rendront pas à leurs pères les soins que leur enfance aura reçus : l’un ravagera la cité de l’autre ; on ne respectera ni la foi des sermens, ni la justice, ni la vertu ; on honorera de préférence l’homme vicieux et insolent ; l’équité et la pudeur ne seront plus en usage : le méchant outragera le mortel vertueux par des discours pleins d’astuce auxquels il joindra le parjure. L’Envie au visage odieux, ce monstre qui répand la calomnie et se réjouit du mal, poursuivra sans relâche les hommes infortunés. Alors, promptes à fuir la terre immense pour l’Olympe, la Pudeur et Némésis (16), enveloppant leurs corps gracieux de leurs robes blanches, s’envoleront vers les célestes tribus et abandonneront les humains ; il ne restera plus aux mortels que les chagrins dévorans, et leurs maux seront irrémédiables.

Maintenant je raconterai aux rois une fable (17) que leur sagesse même ne dédaignera point. Un épervier venait de saisir un rossignol au gosier sonore et l’emportait à travers les nues ; déchiré par ses serres recourbées, le rossignol gémissait tristement ; mais l’épervier lui dit avec arrogance : « Malheureux ! pourquoi ces plaintes ? Tu es au pouvoir du plus fort ; quoique chanteur harmonieux, tu vas où je te conduis ; je peux à mon gré ou faire de toi mon repas ou te rendre la liberté. » Ainsi parla l’épervier au vol rapide et aux ailes étendues. Malheur à l’insensé qui ose lutter contre un ennemi plus puissant ! privé de la victoire, il voit encore la souffrance s’ajouter à sa honte.

O Persès ! écoute la voix de l’équité, et abstiens-toi de l’injure, car l’injure est fatale à l’homme faible ; l’homme de bien ne la supporte pas facilement : accablé par elle, il tombe sa victime. Il est un chemin plus noble qui mène à la justice. La justice finit toujours par triompher de l’injure. Mais l’insensé ne s’instruit que par son propre malheur. Horcus poursuit avec ardeur les jugemens iniques. La justice s’indigne et frémit partout où elle se voit entraînée par ces hommes, dévorateurs de présens, qui rendent de criminels arrêts. Couverte d’un nuage, elle parcourt en pleurant les cités et les tribus des peuples, apportant le