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LA THÉOGONIE[1].




Commençons (1) par invoquer les Muses de l’Hélicon (2), les Muses qui, habitant cette grande et céleste montagne, dansent d’un pas léger autour de la noire fontaine et de l’autel du puissant fils de Saturne, et baignant leurs membres délicats dans les ondes du Permesse, de l’Hippocrène et du divin Olmius, forment sur la plus haute cime de l’Hélicon des chœurs admirables et gracieux. Lorsque le sol a frémi sous leurs pieds bondissans, dans leur pieuse ardeur, enveloppées d’un épais nuage, elles se promènent durant la nuit (3) et font entendre leur belle voix en célébrant Jupiter armé de l’égide, l’auguste Junon d’Argos, qui marche avec des brodequins d’or, la fille de Jupiter, Minerve aux yeux bleus, Phébus-Apollon (4), Diane chasseresse, Neptune, qui entoure et ébranle la terre, la vénérable Thémis (5), Vénus à la paupière noire, Hébé à la couronne d’or, la belle Dioné, l’Aurore (6), le grand Soleil, la Lune splendide, Latone, Japet, l’astucieux Saturne, la Terre, le vaste Océan et la Nuit ténébreuse (7), enfin la race sacrée de tous les autres dieux immortels. Jadis elles enseignèrent à Hésiode (8) d’harmonieux accords, tandis qu’il faisait paître ses agneaux aux pieds du céleste Hélicon. Ces Muses de l’Olympe, ces filles de Jupiter, maître de l’égide, m’adressèrent ce langage pour la première fois : « Vils pasteurs, opprobre des campagnes, vous qui ne vivez que pour l’intempérance, nous savons inventer beaucoup de mensonges semblables à la vérité ; mais nous savons aussi dire ce qui est vrai, quand tel est notre désir. »

Ainsi parlèrent les éloquentes filles du grand Jupiter, et elles me remirent pour sceptre un rameau de vert laurier superbe à cueillir ; puis, m’inspirant un divin langage pour me faire chanter le passé et l’avenir, elles m’ordonnèrent de célébrer l’origine des bienheureux immortels et de les choisir toujours elles-mêmes pour objet de mes premiers et de mes derniers chants (9). Mais pourquoi m’arrêter ainsi autour du chêne ou du rocher (10) ?

Célébrons d’abord les Muses qui, dans l’Olympe, charment la grande âme de Jupiter et marient leurs accords en chantant les choses passées, présentes et futures (11). Leur voix infatigable coule de leur bouche en doux accens (12), et cette harmonie enchanteresse, au loin répandue, fait sourire (13) le palais de leur père qui lance la foudre. On entend résonner la cime de l’Olympe neigeux (14), demeure des immortels. D’abord, épanchant leur voix divine, elles rappellent l’auguste origine des dieux engendrés par la Terre et par le vaste Uranus (15), et chantent leurs célestes enfans, auteurs de tous les biens. Ensuite, célébrant Jupiter, ce père des dieux et des hommes, elles commencent et finissent par lui tous leurs hymnes et redisent combien il l’emporte sur les autres divinités par sa force et par sa puissance. Enfin, quand elles louent la race des mortels et des géans vigoureux (16), elles réjouissent dans le ciel l’âme de Jupiter, ces Muses de l’Olympe, filles du dieu qui porte l’égide. Dans la Piérie, Mnémosyne, qui régnait sur les collines d’Éleuthère, unie au fils de Saturne, mit au jour ces vierges qui procurent l’oubli des maux et la fin des douleurs. Durant neuf nuits, le prudent Jupiter, montant sur son lit sacré, coucha près de Mnémosyne, loin de tous les immortels. Après une année, les saisons et les mois ayant accompli leur cours et des jours nombreux étant révolus, Mnémosyne enfanta neuf filles animées du même esprit, sensibles au charme de la musique et portant dans leur poitrine un cœur exempt d’inquiétude ; elle les enfanta près du sommet élevé de ce neigeux Olympe où elles forment des chœurs brillans et possèdent des demeures magnifiques ; à leurs côtés se tiennent les Grâces et le Désir dans les festins, où leur bouche, épanchant une aimable harmonie, chante les lois de l’univers et les fonctions respectables des dieux. Fières de leurs belles voix et de leurs divins concerts, elles montèrent dans l’Olympe : la terre noire retentissait de leurs accords, et sous leurs pieds s’élevait un bruit ravissant tandis qu’elles marchaient vers l’auteur de leurs jours, ce roi du ciel (17), ce maître du tonnerre et de la brûlante foudre, qui, puissant vainqueur de son

  1. Toutes les notes auxquelles nous renvoyons dans les œuvres d’Hésiode se trouvent à la fin du volume.