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phes, soit pour consacrer son prix à Apollon, soit pour interroger l’oracle sur son avenir et qu’il reçut cette réponse : « Heureux ce mortel qui visite ma demeure, cet Hésiode que chérissent les Muses immortelles ! Sa gloire s’étendra aussi loin que les rayons de l’aurore. Mais redoute le bois fameux de Jupiter Néméen. C’est là que le destin a marqué le terme de ta vie. »

Hésiode, comme le raconte l’auteur du Combat, s’éloigna du Péloponèse, pensant que la divinité avait voulu désigner le temple consacré dans ce pays à Jupiter Néméen. Parvenu dans OEnoë, ville de la Locride, il s’établît chez Amphiphane et Ganyctor, fils de Phégée, ne comprenant pas le sens de la prédiction, car tout ce lieu s’appelait le lieu consacré à Jupiter Néméen. Comme il séjourna longtemps chez les OEniens, de jeunes hommes, le soupçonnant d’avoir violé leur sœur, le tuèrent et le précipitèrent dans la mer, entre l’Eubée et la Locride. Le troisième jour son corps fut rapporté par des dauphins tandis qu’on célébrait une fête en l’honneur d’Ariane. Tous les habitans, accourus sur le rivage, reconnurent le cadavre et l’ensevelirent avec pompe. On poursuivit les assassins, qui s’élancèrent dans une barque de pêcheurs et naviguèrent vers la Crète ; mais au milieu de la traversée, Jupiter les foudroya et les précipita dans les flots. Suivant Pausanias (Béotie, ch. 31), ces jeunes hommes, qui étaient les fils de Ganyctor, Ctiménus et Antiphus, s’enfuirent de Naupacte à Molycrium, à cause du meurtre d’Hésiode, et là, ayant commis quelque impiété envers Neptune, ils subirent le châtiment mérité. Pausanias dit que tout le monde est d’accord sur ces faits, mais qu’il n’en est pas de même au sujet d’Hésiode ; que, selon les uns, il fut accusé a tort d’avoir fait violence à la sœur de ces jeunes gens et que, d’après les autres, il était réellement coupable. Plutarque, dans le Banquet de Dioclès, explique ainsi la cause de sa mort : Hésiode, avec Milésius et un enfant nommé Troïle, fut reçu chez un hôte dont Milésius viola la fille pendant la nuit ; les frères de la jeune fille, croyant Hésiode coupable, le tuèrent dans une prairie avec Troïle et le jetèrent dans la mer, en laissant le corps de l’enfant sur le rivage ; des dauphins ayant rapporté le cadavre d’Hésiode au moment où l’on célébrait la fête de Neptune, les habitans du pays démolirent la maison de ses meurtriers et les noyèrent eux-mêmes.

Pausanias rapporte (Béotie, ch. 38) que de son temps on voyait à Orchomène le tombeau d’Hésiode, et il raconte pour quel motif les habitans de cette ville l’y avaient érigé : « Une maladie contagieuse faisant périr les hommes et les animaux, on envoya des députés pour consulter le dieu. On assure que la Pythie leur répondit qu’il fallait transporter les os d’Hésiode de la Naupactie dans l’Orchoménie et qu’il n’y avait pas d’autre remède au fléau. Les envoyés ayant demandé ensuite dans quel lieu de la Naupactie ils trouveraient ces ossemens, la Pythie leur annonça qu’une corneille le leur indiquerait. Lorsqu’ils eurent débarqué dans le pays de Naupacte, ils aperçurent à peu de distance de la route un rocher où était perchée une corneille, et ils découvrirent les os d’Hésiode dans le creux de ce rocher. On grava sur le tombeau l’épitaphe suivante :

« Ascra, riche en moissons, fut la patrie d’Hésiode ; mais la terre des Minyens, dompteurs de chevaux, possède les os de ce poëte dont la gloire a été si éclatante dans la Grèce parmi les hommes qui jugent d’après les lois de la sagesse. »

Quels qu’aient été le motif et le genre de la mort d’Hésiode, la tradition veut qu’il soit parvenu jusqu’à un âge très-avancé. De là le proverbe d’une vieillesse hésiodéenne et ce distique attribué à Pindare par Tzetzès (Prolégomènes ad Erga).

« Salut, mortel qui es entré deux fois dans l’adolescence et qui as eu deux fois un tombeau : Hésiode ! ô toi qui as atteint le dernier degré de la sagesse humaine. »

Hésiode laissa un fils dont il parle (les Travaux et les Jours, v. 315), mais sans le nommer et sans dire quelle fut sa mère. Quelques auteurs prétendent que cette jeune fille, appelée Clymène ou Ctémène, qu’il fut soupçonné d’avoir violée, avait été son épouse légitime et lui avait donné un fils nommé Mnaséas, Stésichore ou Archiépès.

Tout ce qu’on a débité sur la vie et la mort d’Hésiode semble porter le caractère de la fable plutôt que de l’histoire ; les seuls faits authentiques sont les événemens consignés dans ses poëmes, tels que sa condition de pâtre sur l’Hélicon, sa victoire à Chalcis, son procès avec son frère et la naissance de son fils. Quant à son caractère, il s’est peint lui-même dans ses ouvrages ; ami d’une existence sédentaire, observateur de la tempérance et de la justice, religieux jusqu’à la superstition, il n’ambitionna point la faveur des rois et borna son ambition à se rendre utile à ses concitoyens, à qui il prêchait la morale en beaux vers. Sa mémoire obtint les faveurs qui l’avaient fui pendant sa vie. L’admiration publique lui fit ériger, suivant Pausanias, des statues à Thespie, à Olympie, sur l’Hélicon. Chantées par la bouche des rhapsodes et transmises des pères aux enfans par la tradition orale, ses poésies furent rassemblées à la même époque que l’Iliade et l’Odyssée. Rien ne manqua à la renommée du poëte, puisqu’il eut même la gloire d’irriter l’envie. Hésiode, dit-on, eut son Cercops, comme Homère son Zoïle.

Après avoir jeté un coup d’œil sur le siècle et la vie d’Hésiode, nous examinerons ses œuvres avec plus de détails. Quel a été son premier ouvrage ? Plusieurs critiques prétendent que c’est celui des Travaux et des Jours, parce que Pausanias dit (Béotie, ch. 31) avoir vu sur l’Hélicon, auprès de la fontaine, des lames de plomb très-altérées par le