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vie ; mais Prassée[1], voyant sa compagne à demi morte, vient prendre sa place aux premiers rangs et ne cesse pas de branler son javelot de jonc. Il ne peut réussir à percer les boucliers de ses ennemis ; la pointe de sa lance ne pénètre pas assez avant. Alors la divine Origanion imitant par sa valeur les exploits du dieu Mars, frappe le casque orné de quatre aigrettes que portait Troxarte, et seule entre toutes les grenouilles elle se distingue dans la mêlée. Tous les rats se réunissent pour fondre sur elle ; mais voyant qu’elle ne peut résister à tant de héros vaillans, elle se réfugie dans les profondeurs du marécage.

Parmi ces rats, un jeune guerrier se distingue sur tous les autres ; il s’avance dans les rangs des ennemis pour les combattre. Ce vaillant chef est fils du brave Artépibule[2] : il ressemble en tout au dieu Mars. Méridarpax[3] est son nom. C’est le plus habile guerrier qu’il y ait dans l’armée des rats, car divisant une noix en deux parties, de ses coquilles vides il arme ses mains ; aussitôt les grenouilles épouvantées fuient dans les marais. Enflé par son courage, il se présente sur les bords de l’étang, et là il se vante hautement qu’il viendra seul à bout de détruire la race des grenouilles, quelque belliqueuse qu’elle soit ; sans doute il y fût parvenu, tant était prodigieuse sa force, si le père des hommes et des dieux n’eût prévu cette ruine. Touché de compassion pour ces pauvres grenouilles près de périr, il secoue sa tête auguste et il dit :

« Certes, c’est une terrible affaire que celle qui se passe à nos yeux. J’ai senti moi-même quelque effroi en voyant l’air féroce de Méridarpax, et son acharnement à dévaster ces marais. Pour l’écarter du combat, tout brave qu’il est, je vais à l’instant faire marcher contre lui la déesse qui se plaît dans le tumulte des armes ou le dieu Mars lui-même. »

À peine a-t-il achevé ces mots que Mars prend la parole :

« Puissant fils de Saturne, dit-il, ni la force de Minerve ni la mienne ne viendraient jamais à bout de sauver les grenouilles du péril qui les menace ; il faut que tous les dieux se réunissent en leur faveur ou que tu aies recours à cette arme immense, cette arme redoutable dont tu te servis avec tant de succès contre les Titans qui en perdirent la vie. Encelade, condamné depuis à des liens éternels, et la race perfide des géans, furent aussi terrassés de son poids. »

Comme il disait ces mots, Jupiter lance ses traits enflammés. L’on entend d’abord gronder le tonnerre, dont le fracas ébranle tout l’Olympe ; puis on voit descendre le feu de la foudre, qui, dans sa marche tortueuse, répand la terreur parmi les hommes. À la rapidité de ce trait, on reconnaît l’arme du maître des dieux. Les grenouilles et les rats en sont d’abord également saisis d’effroi. Cependant le parti des rats ne cesse pas de combattre ; leur ardeur à détruire les grenouilles aurait même redoublé, si Jupiter, du haut de l’Olympe, n’eût eu pitié d’elles et ne leur eût envoyé sans retard un puissant secours.

On voit arriver une troupe au dos robuste comme une enclume, aux serres crochues, à la démarche oblique et tortueuse : leur mâchoire est acérée et tranchante comme des ciseaux, et leur peau est une écaille dure comme l’os. Ils ont de larges et fortes épaules ; le dessus de leur dos brille comme s’il était revêtu d’une armure, leurs jambes sont tortues et leurs mains toujours tendues en avant ; ils ont les yeux placés devant la poitrine, huit pieds, deux têtes et une quantité prodigieuse de mains. Ces animaux sont vulgairement connus sous le nom de Cancres. Leur arrivée devient fatale aux rats ; plusieurs d’entre eux ont la queue, les pieds ou les mains coupés ; leurs lances sont mises en pièces : enfin ces pauvres rats sont saisis d’une telle frayeur, qu’ils ne résistent plus et prennent la fuite. Déjà le soleil passait sous l’horizon ; la fin du jour fut aussi celle de cette guerre.


  1. Qui se nourrit de poireaux.
  2. Qui guette le pain.
  3. Qui saisit une portion tout entière.

fin des œuvres d’homère