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prendre ni breuvage ni nourriture, et le cœur consumé de tristesse par le désir qu’elle avait de revoir sa fille à la flottante tunique.

Enfin la sage Iambé, s’abandonnant à mille paroles joyeuses, parvint à distraire l’auguste déesse, la fit doucement sourire et répandit le calme dans son âme. Les aimables saillies de cette jeune fille la lui rendirent dans la suite toujours plus chère. Alors Métanire lui présente une coupe remplie d’un vin délicieux. Elle le refuse, disant qu’il ne lui est pas permis de boire du vin ; mais elle demande qu’on lui donne à boire de l’eau mêlée avec de la farine dans laquelle on broierait un peu de menthe. Métanire alors prépare ce breuvage et le lui présente comme elle le désire. L’auguste Déo accepte par grâce, et Métanire commence l’entretien en ces termes :

« Salut, étrangère. Je ne puis croire que vous soyez issue de parens obscurs : vous êtes certainement née de héros illustres ; vos yeux sont resplendissans de grâce et de pudeur comme ceux des rois qui rendent la justice. Quelles que soient nos peines, il faut savoir les supporter parce qu’elles nous viennent des dieux : c’est le joug qui pèse sur notre tête. Puisque vous êtes arrivée en ces lieux, vous prendrez part à tous les biens que je possède. Ayez soin de ce fils que les immortels m’ont accordé dans ma vieillesse à l’instant où je ne l’espérais plus ; ce fils, objet de tous mes vœux et de tous mes désirs, si vous l’élevez avec soin et qu’il arrive heureusement aux jours de la jeunesse, toutes les femmes qui vous verront porteront envie à votre sort, tant vous serez récompensée des soins prodigués à mon enfant.

— Et vous aussi, grande reine, je vous salue, lui répond Cérès, et que les dieux vous comblent de joie ! Oui, je recevrai votre fils comme vous le commandez et je l’environnerai de tels soins que jamais maléfice dangereux, jamais plante mauvaise, ne pourront le troubler. D’ailleurs je sais un remède plus puissant que toutes les plantes coupées dans les forêts, je sais un préservatif infaillible contre les sortilèges. »

A peine Cérès a-t-elle prononcé de telles paroles qu’elle prend l’enfant dans ses mains immortelles et le suspend à son sein parfumé. La mère en avait le cœur réjoui. C’est ainsi qu’elle élève dans le palais le fils de Céléus, Démophon, qu’enfanta la belle Métanire. Il croissait beau comme un dieu, ne se nourrissant pas de pain, ne mangeant pas de lait. Cérès le frottait d’ambroisie, comme le fils d’un immortel, l’animait de son souffle et le portait sur son sein. Pendant la nuit, à l’insu de ses parens, elle le couchait, comme un tison, dans un ardent foyer. Tous s’étonnaient de le voir ainsi croître en vigueur et se développer semblable aux dieux. Sans nul doute la déesse serait parvenue à l’affranchir de la vieillesse et de la mort sans l’imprudence de Métanire. Durant la nuit, elle observa Cérès et l’aperçut de sa chambre parfumée. Elle poussa aussitôt un grand cri, elle se frappa les deux cuisses, et son âme tremblante pour l’enfant fut agitée d’une grande colère. Alors dans sa douleur elle laisse échapper ces mots :

« O mon fils, Démophon, c’est ainsi que l’étrangère te jette dans le feu, me livrant au deuil, aux chagrins les plus amers ! »

Métanire parlait ainsi en pleurant. L’auguste déesse l’entendit. Alors Cérès, irritée, retire du foyer cet enfant bien-aimé que la reine avait conçu contre toute espérance ; de ses mains divines elle le dépose à terre, un violent courroux anime son cœur ; elle adresse ces paroles à la belle Métanire :

« Que les hommes sont aveugles et insensés ! Ils ne connaissent ni les biens ni les maux que leur réserve le destin : c’est ainsi que ton imprudence fait aujourd’hui ton propre malheur. Oui, j’en fais le serment par l’onde inexorable du Styx, serment des dieux, j’aurais affranchi ton fils de la vieillesse et de la mort, je l’aurais doué d’une gloire éternelle. Maintenant il ne pourra échapper à la mort et à la destinée, mais il jouira toujours d’un grand honneur parce qu’il a reposé sur mes genoux et qu’il s’est endormi dans mes bras. Cependant, quand viendra sa jeunesse, les enfans d’Éleusis verront s’élever sans cesse entre eux les discordes funestes de la guerre. Je suis Cérès, pleine de gloire ; je fais la joie et le bonheur des dieux et des hommes. Allons, que près de la ville et de ses murs élevés tout le peuple me bâtisse un temple avec un grand autel sur la haute colline Callichore ! Je vous enseignerai les mystères, vous les célébrerez avec piété et vous apaiserez ainsi mon âme. »

La grande déesse, parlant ainsi, change de forme et secoue sa vieillesse : la beauté respire autour d’elle, une odeur agréable s’échappe de ses voiles parfumés, la lumière de son corps