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conclusion

encore ; et c’est un des mauvais services que son admiration trop ardente pour Louis XIV lui a rendus.

Il faut donc faire des réserves expresses sur cette partie de l’œuvre de Voltaire.

Il existe deux esprits voltairiens.

L’un consiste à répéter les plaisanteries de Voltaire et à hériter ses colères contre la religion chrétienne et en général contre toutes les religions. Cet esprit-là manque d’esprit et est extrêmement suranné. Il a été soit réfuté, soit ridiculisé par les plus grandes intelligences du xixe siècle, par Chateaubriand, par Lamartine, par Hugo pendant la moitié de sa vie, par Saint-Simon, par Auguste Comte, par Flaubert, par Taine et par Renan ; et je ne parle pas, à dessein, des écrivains et des penseurs proprement religieux. Il est inutile, il est ridicule, il n’est pas sans danger moral de s’y laisser aller.

Il existe un autre esprit voltairien ; il consiste à être, comme Voltaire l’a été, très intelligent, si l’on peut, très sensé, très pratique, à aimer les faits bien observés, à se délier des théories aventureuses, à travailler toutes les questions avec attention, observation, documentation ; — à aimer les solutions modérées, non par nonchalance, et il ne faut jamais être nonchalant, mais par conviction que la solution modérée est chaque jour la seule où la force des choses nous réduit et nous ramène, et que les solutions radicales ne s’obtiennent qu’à la longue par toute une série de solutions modérées ; — à aimer les pauvres, les déshérités et les souffrants ; à détester les oppresseurs, les égoïstes et les fanatiques, à quelque parti qu’ils appartiennent ; à aimer la tolérance, autant qu’il a dit qu’il l’aimait, plus qu’il ne l’a pratiquée ; à rêver et à réaliser partiellement un monde de travailleurs honnêtes et de chefs bienfaisants, comme était le petit royaume de Ferney.