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Voltaire

amuser et que je suis mauvais plaisant. Mais enfin, en bâillant et en riant, vous voilà mon confrère, et il faut tout oublier, en bons chrétiens et en bons académiciens.

Je suis fort content. Monsieur, de votre harangue et très reconnaissant de la bonté que vous avez de me l’envoyer. À regard de votre lettre,

Nardi parvus onyx eliciet cadum[1].

Pardon de vous citer Horace, que vos héros, MM. de Fontenelle et de La Motte, ne citaient guère.

Je suis obligé en conscience de vous dire que je ne suis pas né plus malin que vous, et que, dans le fond, je suis bon homme. Il est vrai qu’ayant fait réflexion depuis quelques années qu’on ne gagnait rien à l’être, je me suis mis à être un peu gai, parce qu’on m’a dit que cela est bon pour la santé. D’ailleurs je ne me suis pas cru assez important, assez considérable, pour dédaigner toujours certains illustres ennemis qui m’ont attaqué personnellement pendant une quarantaine d’années, et qui, les uns après les autres, ont essayé de m’accabler, comme si je leur avais disputé un évêché ou une place de fermier général. C’est donc par pure modestie que je leur ai donné enfin sur les doigts. Je me suis cru précisément à leur niveau, et in arenam cum æqualibus descendis, comme dit Cicéron.

Croyez, Monsieur, que je fais une grande différence entre vous et eux ; mais je me souviens que mes rivaux et moi, quand j’étais à Paris, nous étions tous très peu de chose, de pauvres écoliers du siècle de Louis XIV, les uns en vers, les autres en prose, quelques-uns moitié prose, moitié vers, du nombre desquels j’avais l’honneur d’être ; infatigables auteurs de pièces médiocres, grands compositeurs de riens, pesant gravement des œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée. Je sens parfaitement la valeur de ce néant ; mais comme je sens également le néant de tout le reste, j’imite le Vejanius de Virgile :

  1. La moindre fiole de tes parfums fera sortir un tonneau de ma cave en ton honneur.