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la correspondance

vous en avez qui sont dignes de vous. La douceur et la sûreté de la conversation est un plaisir aussi réel que celui d’un rendez-vous dans la jeunesse. Faites bonne chère, ayez soin de votre santé ; amusez-vous quelquefois à dicter vos idées pour comparer ce que vous pensiez la veille avec ce que vous pensez aujourd’hui. Vous aurez deux grands plaisirs : celui de vivre avec la meilleure compagnie de Paris, et celui de vivre avec vous-même. Je vous défie d’imaginer rien de mieux.

Il faut que je vous console encore, en vous disant que je crois votre situation fort supérieure à la mienne. Je me trouve dans un pays situé tout juste au milieu de l’Europe. Tous les passants viennent chez moi. Il faut que je tienne tête à des Anglais, à des Allemands, à des Italiens et même à des Français que je ne reverrai plus ; et vous ne vivez qu’avec des personnes que vous aimez.

Adieu, Madame, daignez toujours aimer un peu votre directeur, qui se ferait un grand honneur d’être dirigé par vous. »

Et si l’on veut finir par le Voltaire ironique, railleur, mais aimable en même temps, qui égratigne sans blesser, ou plutôt qui joue avec son épée en la tirant à demi, qu’on lise sa lettre de réconciliation à l’abbé Trublet. L’abbé Trublet, le « compilateur » du Pauvre Diable, qui avait attaqué Voltaire dans ses Essais de morale et de littérature, et qui avait appliqué à la Henriade le vers de Boileau : « Et je ne sais pourquoi je bâille en la lisant, » avait été reçu à l’Académie en 1761 et devenait ainsi le collègue de Voltaire. Il envoya son discours de réception avec une lettre très courtoise à Voltaire. Celui-ci lui répondit :

« Votre lettre et votre procédé généreux. Monsieur, sont des preuves que vous n’êtes pas mon ennemi, et votre livre vous faisait soupçonner de l’être. J’aime mieux en croire votre lettre que voire livre. Vous aviez imprimé que je vous faisais bâiller, et moi j’ai laissé imprimer que vous me faisiez rire. Il résulte de tout cela que vous êtes difficile à