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la correspondance

présence et comme chargé d’électricité, sur son théâtre de campagne où il joue avec sa nièce et ses amis, d’un jeu animé et fougueux, avec ce diable au corps qu’il reprochait toujours aux acteurs de ne pas avoir, et jetant d’une voix vibrante le vers fameux :

Romains, j’aime la gloire et ne veux pas m’en taire.

Rien d’amusant et d’instructif comme la confidence journalière de cette humeur mobile et de cet esprit à la fois grand, obstiné et aventureux.

Et encore, et ce n’est pas le plus mince attrait dans ce recueil inépuisable, mille billets improvisés, jetés à la hâte au courrier qui part, contenant un mot, un salut, un geste pour ainsi dire, riens charmants, d’un tour exquis, d’une grâce alerte, d’un trait vif, enlevés du bout de la plume, légers, frivoles, immortels. — Voici une lettre de Voltaire à Mme la marquise du Deffand, la vieille aveugle. C’est un de Senectute beaucoup plus spirituel que celui de Cicéron.

« Je pense, avec vous, Madame, que quand on veut être aveugle, il faut l’être à Paris. Il est ridicule de l’être dans une campagne avec un des plus beaux aspects de l’Europe. On a besoin absolument dans cet état de la consolation de la société. Vous jouissez de cet avantage ; la meilleure compagnie se rend chez vous, et vous avez le plaisir de dire votre avis sur toutes les sottises qu’on fait et qu’on imprime.

Je sens bien que cette consolation est médiocre. Rarement le dernier âge de la vie est-il bien agréable. On a toujours espéré assez vainement jouir de la vie, et, à la fin, tout ce qu’on peut faire est de la supporter. Soutenez ce fardeau, Madame, tant que vous pourrez. Il n’y a que les grandes souffrances qui le rendent intolérable.

On a encore, en vieillissant, un grand plaisir qui n’est pas à négliger, c’est de compter les impertinents et les impertinentes qu’on a vus mourir, les ministres qu’on a vu renvoyer