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Voltaire

un monarque législateur, fondateur et guerrier est le véritable grand homme, au-dessus du héros. Je crois que vous serez content quand je ferai cette distinction… »

Ou bien encore ce sont des nouvelles importantes qui arrivent d’Allemagne ou d’Angleterre, une bataille gagnée ou perdue, un ministère qui tombe. La correspondance devient un journal politique : réflexions sur les règlements et le dérèglement des finances, état de l’Europe en 1761, état de la France en 1776, les Russes et les Turcs et l’avenir de la Turquie… Quelquefois la pensée et le ton deviennent prophétiques, à l’idée des changements qui ne peuvent manquer d’arriver dans l’État. À d’Alembert : « Une grande révolution dans les esprits s’annonce de tous côtés. » À M. de Chauvelin : « Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement… Ce sera un beau tapage. Les jeunes gens sont bien heureux. Ils verront de belles choses. »

Mais ce qui tient la plus grande place dans la correspondance de Voltaire, chose naturelle et dont nous n’avons pas à nous plaindre, c’est Voltaire lui-même. Sa vie, ses projets, ses plans d’ouvrages, ses idées de pièces ; quand ses ouvrages ont paru, les réponses aux critiques ou aux objections ; ses inquiétudes, la vie fiévreuse, dont il est accablé, qu’il mène à Paris ; le loisir et le calme laborieux de son existence à Ferney ; compliments à celui-ci, remerciements à celui-là, recommandations détaillées pour la publication ou la représentation de ses ouvrages ; mille circonstances de cette destinée si pleine, si accidentée, font de cette correspondance une biographie au jour le jour, la plus nourrie, la plus variée, la plus intéressante. On y saisit Voltaire chez lui, dans son cabinet de travail, tout échauffé de sa