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la correspondance

Mais le Siècle de Louis XIV s’imprime, ou l’Essai sur les mœurs et l’esprit des Nations, et dans les lettres de Voltaire les considérations historiques viennent abonder : misères de l’Europe au moyen âge, progrès de la civilisation ; explications à lord Hervey sur le titre de Siècle de Louis XIV, et à ce propos portrait du grand roi et tableau du grand siècle ; la France au temps de Henri IV et ce que Henri a fait pour la France et pour la civilisation ; Paris et la France au temps du système de Law ; de l’esprit dans lequel il faut écrire l’histoire (à M. le comte de Schouvalow, à propos de l’Histoire de Pierre Le Grand). Voici quelques fragments de cette lettre :

« …… J’ai toujours pensé que l’histoire demande le même art que la tragédie : une exposition, un nœud, un dénouement, et qu’il est nécessaire de présenter tellement toutes les figures du tableau, qu’elles fassent valoir le principal personnage sans affecter jamais l’envie de le faire valoir. C’est dans ce principe que je compte écrire…

Mon but est de peindre la création des arts, des mœurs, des lois [en Russie], de la discipline militaire, du commerce, de la marine, de la police, etc., et non de divulguer ou des faiblesses ou des duretés qui ne sont que trop vraies. Il ne faut pas avoir la lâcheté de les désavouer, mais la prudence de n’en point parler, parce que je dois, ce me semble, imiter Tite-Live, qui traite les grands objets, et non Suétone qui ne raconte que la vie privée.

J’ajouterai qu’il y a des opinions publiques qu’il est bien difficile de combattre. Par exemple, Charles XII avait une valeur personnelle dont aucun prince n’approche. Cette valeur, qui aurait été admirable dans un grenadier, était peut-être un défaut chez un roi…

Voilà, ce que les hommes de tous les temps et de tous les pays appellent un héros ; mais c’est le vulgaire de tous les temps et de tous les pays qui donne ce nom à la soif du carnage. Un roi soldat est appelé un héros ; un monarque dont la valeur est plus réglée et moins éblouissante,