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la correspondance

ce sont là les moins funestes. Les épines attachées à la littérature et à un peu de réputation ne sont que des fleurs en comparaison des autres, maux qui, de tout temps, ont inondé la terre. Avouez que ni Cicéron, ni Varron, ni Lucrèce, ni Virgile, ni Horace n’eurent la moindre part aux proscriptions. Marius était un ignorant ; le barbare Sylla, le crapuleux Antoine, l’imbécile Lépide lisaient peu Platon et Sophocle ; et pour ce tyran sans courage, Octave Cépias, surnommé si lâchement Auguste, il ne fut un détestable assassin que dans le temps où il était encore privé de la société des gens de lettres.

Avouez que Pétrarque et Boccace ne firent pas naître les troubles de l’Italie ; avouez que le badinage de Marot n’a pas produit la Saint-Barthélémy et que la tragédie du Cid ne causa pas les troubles de la Fronde. Les grands crimes n’ont guère été commis que par de célèbres ignorants.

Ce qui fait et fera toujours de ce monde une vallée de larmes, c’est l’insatiable cupidité et l’indomptable orgueil des hommes, depuis Thamas Kouli-Kan, qui ne savait pas lire, jusqu’à un commis de la douane, qui ne sait que chiffrer.

Les lettres nourrissent l’âme, la rectifient, la consolent ; elles vous servent. Monsieur, dans le temps que vous écrivez contre elles : vous êtes comme Achille qui s’emporte contre la gloire, et comme le P. Malebranche dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination. Il faut aimer les lettres malgré l’abus qu’on en fait, comme il faut aimer la société dont tant d’hommes méchants corrompent les douceurs ; comme il faut aimer sa patrie, quelques injustices qu’on y essuie ; comme il faut aimer et servir l’Être suprême, malgré les superstitions et le fanatisme qui déshonorent si souvent son culte.

M. Chappuis[1] m’apprend que votre santé est mauvaise ; il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes. »

Il discute avec Gin, auteur d’un livre sur les Vrais principes du Gouvernement français; les théories sociologiques de Montesquieu :

  1. Receveur des sels du Valais.