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les petits vers

nouveauté, eût glissé dans une ombre complète, et un érudit le découvrirait de nos jours, et dirait qu’il y a quelques pages curieuses dans ce volume inconnu d’un magistrat de province du xviiie siècle, à quoi personne du reste ne ferait la moindre attention. La gloire durable dépend donc de la célébrité éphémère, et n’est pas, si celle-ci n’a pas été.

On voit pourquoi il est presque nécessaire aux grands esprits d’écrire des billevesées. C’est pâture pour leurs contemporains, et amorce pour l’avenir.

Celles de Voltaire sont du reste, non pas toujours, comme on l’a trop dit, mais très souvent, exquises. Il s’y plaisait et il y réussissait à souhait. J’en ai déjà rapporté un bon nombre, épîtres courantes, billets en vers à des dames ou à des princes de son temps, dans la partie de ce volume qui est consacrée à la Biographie de Voltaire. En voici quelques autres :

Voltaire n’aimait pas le chimérique abbé de Saint-Pierre, qui était pourtant le plus honnête rêveur du monde :

N’a pas longtemps, de l’abbé de Saint-Pierre
On me montrait le buste tant parfait,
Qu’onc ne sus voir si c’était chair ou pierre,
Tant le sculpteur l’avait pris trait pour trait.
Adonc restais perplexe et stupéfait,
Craignant en moi de tomber en méprise.
Puis dis soudain : « Ce n’est là qu’un portrait,
L’original dirait quelque sottise. »

En passant auprès d’une statue de l’Amour, il inscrivait sur le socle :

Qui que tu sois, voici ton maître.
Il l’est, le fut, ou le doit être.