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CHAPITRE XI

LES PETITS VERS.

Il ne faut pas oublier les œuvres les plus légères de Voltaire, parce que ce sont celles-là qui ont fait la moitié de son succès. Les hommes comme Voltaire ont la force de travailler pour le public en même temps que pour la postérité, de manière à obtenir et la célébrité et la gloire. Pour aller à la postérité, pour obtenir la gloire, Renan, de nos jours, écrivait l’Histoire du peuple d’Israël et les Origines du christianisme, pour être célèbre, ce qu’il ne dédaignait pas, il écrivait Caliban et l’Abbesse de Jouarre. Le public, j’entends le public qui fait la réputation, ne lisait que ces deux dernières œuvres, et se faisait, du reste, ainsi, de Renan, l’idée la plus fausse du monde ; mais il répétait son nom et en faisait retentir tous les échos.

Cela est un moyen qu’ont les grands hommes de forcer l’attention de leurs contemporains ; c’est aussi une nécessité pour eux, pour l’intérêt de leur vraie gloire. Supposez que l’Essai sur les mœurs eût été fait par un Voltaire qui n’eût écrit ni le Mondain ni le Pour et le Contre, l’Essai sur les mœurs passait inaperçu de son temps et, passant inaperçu de son temps, ne parvenait pas à la postérité. Supposez que l’Esprit des Lois eût été écrit par un Montesquieu qui n’eût pas fait les Lettres Persanes, l’Esprit des Lois, qui fut très peu estimé en sa