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nouvelles et romans en prose

ment du siècle étaient en possession de ravir le public français. Je ne suis grand partisan ni des griffons de la Princesse de Babylone ni du voyage à Eldorado.

De plus il s’est un peu trop souvenu de Swift (en le nommant du reste) dans Micromégas et ses deux géants au lieu d’un, et ses voyageurs sidéraux à cheval sur une comète et descendant sur terre par une aurore boréale, et le cornet acoustique que fabrique l’un d’eux avec une rognure de son ongle, sont inventions par imitation qui ne laissent pas de sentir l’effort. Il est moins naturel ici que son modèle, comme il arrive toujours quand on prend un modèle.

Mais en général rien n’est plus naturel au contraire et plus facile et plus spontané que ces contes. Ce qu’ils ont pour eux, c’est qu’ils sont l’exposition d’un système triste faite par un homme gai, une satire violente écrite par le maître même de la belle humeur.

Combinaison rare et précieuse qui les a sauvés de tous les écueils. Ils n’ont pas l’éloquence terrible des pamphlets de Swift ; ils n’en ont pas non plus la colère âpre, la bile recuite, l’ironie féroce. L’ironie de Voltaire, au moment même où elle est puissante, reste légère. C’est que ses héros, comme lui-même, sont gais, malgré tout, amusés par les péripéties de la vie du monde, même quand ils en souffrent cruellement, alertes et rebondissants sous les coups du sort. Ils peuvent être tristes ; ils ne sont jamais mélancoliques.

Voilà pourquoi ce livre, qui est une satire, est lu par la plupart pour le divertissement. Si l’on veut quelques exemples de cette manière vive et alerte que Voltaire a trouvée pour nous divertir, voici comment Zadig mérita d’être mis en prison et paya neuf cents onces d’or pour avoir été trop bon observateur :