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Voltaire

dant, — et si l’homme est mauvais, c’est une raison de plus de l’aimer et de le secourir ; car s’il est mauvais, il est malheureux. On voudrait que Voltaire eût mis quelque part ce mot-là.

Il l’a dit un jour, bien spirituellement, aux hommes de lettres, pour les dégoûter de ces querelles odieuses et ridicules qu’ils ont, je veux dire qu’ils avaient en ce temps-là, les uns avec les autres : « Mes frères, je vous le dis en vérité, aimez-vous les uns les autres ; sinon, qui est-ce qui vous aimera ? »

Voilà qui est bien dit ; mais voilà ce qu’un pessimiste, qui ne croit pas que Dieu s’occupe du bonheur de ses créatures, pourrait dire, et précisément parce qu’il est pessimiste, à tous les hommes : « Mes frères, aimez-vous les uns les autres ; car sans cela qui vous aimera ? » — C’est que « s’aimer les uns les autres » est la conclusion nécessaire de toute philosophie, de la plus sombre comme de la plus satisfaite, parce que, aussi bien, c’est toute la morale.

Toute cette petite philosophie, un peu sèche, comme on l’a vu, assez triste et assez étroite. Voltaire l’a exposée en des contes ou récits charmants, dont l’art avait eu des modèles, a eu des imitateurs, mais n’a rien qui le surpasse. C’est d’abord que Voltaire sait conter, et cela se sent à toutes les lignes et ne se définit guère. L’allure rapide et aisée des Nouvelles et Romans est un don qui ne s’analyse point et est un charme qu’on ne gagnerait rien à vouloir décrire.

On peut trouver que, quelquefois, un fantastique bien inutile et assez froid, parce que Voltaire n’a pas d’imagination proprement dite, d’imagination vraiment créatrice, traverse et encombre un peu ces récits aimables. Il y a là un souvenir peut-être malheureux, assurément inutile, des Mille et une nuits, qui depuis le commence-