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nouvelles et romans en prose

temps, parce qu’il était naturellement assez amer ; et surtout parce que la raillerie est plus amusante que la résignation, ce qu’il ne faut jamais oublier quand on lit les satiriques, et même en général tous les auteurs, pour être prévenu de ce qu’il faut en prendre et de ce qu’il faut en laisser.

Et comme conclusion pratique, Voltaire a-t-il laissé quelque chose à travers les imaginations et les fantaisies de ses romans philosophiques ? Sans doute, encore qu’il ne semble pas qu’il ait tenu à conclure. Il y a un peu partout dans ces romans, et particulièrement dans Candide, un appel à la résignation, mais à la résignation active, et je dirai, me souvenant de l’abstine des stoïciens, à l’abstention laborieuse : « Que faut-il donc faire ? » a demandé Pangloss au derviche : « Te taire ! » a répondu le saint homme. Voilà le abstine. — « Que faut-il faire ? » a demandé derechef Pangloss au « bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d’orangers. » « Travailler, » a répondu l’homme sage. « Le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin. » Il a raison, ont répondu Candide et Martin : « Travaillons sans raisonner, c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. » Et désormais Candide, toute sa vie, n’aura qu’une parole : « Il faut cultiver notre jardin ; car il est dit : ut operaretur eum ; il faut cultiver notre jardin. Voilà la résignation active, voilà l’abstention laborieuse. — C’est à tout prendre, le dernier mot de Voltaire.

Il en est un autre qu’il aurait pu dire, qu’il n’a pas dit, et qu’on pourrait tirer du fond même du pessimisme et du fond même de la misanthropie. C’est « aimez-vous les uns les autres. »

Car si ce monde est mal fait, c’est une raison de plus pour le rendre un peu moins insupportable en s’entr’ai-