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nouvelles et romans en prose

C’est une suite assez naturelle de la misanthropie. Je ne dis pas que c’en soit une suite nécessaire. On peut très bien trouver l’homme mauvais et le monde bien fait, et estimer que c’est l’homme qui a dénaturé et enlaidi l’œuvre très belle d’un créateur très bon. Rousseau est misanthrope et optimiste ; c’est le trait essentiel de son caractère. Mais il est assez naturel cependant que la misanthropie conduise au pessimisme. Celui qui trouve l’humanité si mauvaise trouvera l’univers mal fait pour la même raison.

Cette raison, c’est le manque de résignation. Le misanthrope ne peut pas s’habituer à cette idée que l’homme est malheureux alors qu’il lui serait si facile d’être heureux ; il se révolte contre cette infortune volontaire : de même, jetant les yeux sur le monde et y trouvant beaucoup de mal, il ne peut pas s’habituer à cette idée que le Créateur a mis du mal dans le monde, alors qu’il lui était si facile de n’y mettre que du bien ; il se révolte contre cette infortune, volontaire aussi ; il dit à l’univers : tu as tort d’être mauvais ; comme il dit à l’homme : tu as tort d’être malheureux. Que la raison n’existe pas, absolue, dans l’homme, il s’en irrite ; qu’elle n’existe pas, évidente, dans le monde, il s’en étonne, et même, quelquefois, s’en indigne.

Tel est le cas de Voltaire, au moins dans ses romans ; car il ne faut pas oublier qu’il a beaucoup varié, et que le Voltaire des Romans n’est qu’un aspect, à la vérité très important, de ce brillant Protée. Il y est pessimiste très décidé, surtout dans Candide. Dans tous les autres récits, c’est surtout l’absurdité humaine qui est persiflée ; dans Candide c’est l’absurdité humaine encore ; mais c’est surtout l’absurdité de l’univers. Pourquoi ces guerres, ces meurtres, ces tromperies, ces