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Voltaire

meilleur homme du monde se trouve avoir tué un inquisiteur, un jésuite et un juif sans savoir comment cela a pu lui arriver, et il a horreur de tout acte violent. Que serait-ce s’il était irritable et vindicatif ? Peut-être serait-il mort les mains pures, l’occasion lui ayant manqué d’exercer ses dons naturels[1].

— Mais tout cela est romanesque, et c’est en plaçant les personnages dans des circonstances arrangées et forcées que l’on peint ainsi la société humaine. — Quoi donc ! mais regardez autour de vous dans la société du xviie ou du xviiie siècle. Voyez par quels moyens on obtient justice des gens en place : le bon droit n’y est pour rien, mais les flatteries, les bassesses, les manœuvres, et surtout, avec une supériorité incomparable, le hasard[2]. Voyez ce que c’est que la justice constituée, la magistrature : on achète le droit de rendre la justice. Est-il absurdité plus criante[3] ? Ce que c’est que la vérité judiciaire, voyez-le encore : on l’obtient par la torture, c’est-à-dire que l’on supplicie un homme pour lui faire dire ce qu’on veut qu’il dise, barbarie pour aboutir au mensonge[4]. Et comme on obtient l’impôt nécessaire aux besoins de l’État, voyez-le aussi : le tiers en revient au Trésor, les deux tiers à ceux qui se chargent, moyennant honnête bénéfice, de le faire rentrer[5].

Voyez même comme on entend l’art élémentaire, ou qui devrait l’être, de se bien porter : on se réunit dans des édifices trop petits, on s’entasse en foules compactes dans des maisons obscures, pour prier Dieu ; et où enterre-

  1. Candide.
  2. L’Ingénu.
  3. Zadig.
  4. Id.
  5. Id.