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Voltaire

En tant que pensées, il a la rage d’appliquer son esprit, qui est vif, surtout aux choses qui manifestement le dépassent. Les causes premières et les fins dernières, c’est-à-dire ce qui demanderait qu’on connût l’univers entier pour être seulement entrevu, sont les objets accoutumés de ses investigations un peu hardies. Il est un point, qui trouve tout naturel de vouloir embrasser l’infini. La grenouille qui prétendait égaler le bœuf en grosseur était auprès de lui la personne la plus raisonnable. Ce qu’il y a de terrible, c’est qu’il n’admet pas qu’on ne s’occupe point de ces questions, et que chaque homme n’admet pas que les autres les résolvent autrement qu’il en décide lui même. L’homme tue son semblable en l’honneur d’idées qui sont aussi inintelligibles à son semblable qu’à lui. Il y a des guerres métaphysiques ; il y a du sang versé pour des hypothèses. Cela n’est-il pas effroyable ? Ne vaudrait-il pas mieux renoncer à toute métaphysique, et Voltaire ne craint pas d’ajouter, à toute religion ?

Voltaire remarque de plus que l’homme est aussi insensé dans les actes qui ne lui sont pas dictés par des idées, mais par des passions, des caprices, des intérêts, des habitudes et des manies. Par vanité ces pauvres êtres qui ont si peu de temps à vivre se disputent trois bicoques et arrosent de torrents de sang six lieues de terre qu’ils finissent par voler « et qu’un jour il faudra rendre. » — Telle guerre dure depuis vingt ans qui eut pour cause une querelle entre deux princes à propos d’un droit qui revenait à peu près à la trentième partie d’une darique. Mais c’est qu’il faut soutenir ses droits avec dignité. — Telle autre n’a pas d’autre raison, sinon que ceux qui sont de ce côté-ci ont des turbans et ceux qui sont de ce côté-là ont des chapeaux ; et l’on sent combien c’est une chose intolérable à celui qui porte