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nouvelles et romans en prose

soient si sots, comme pour le plaisir de l’être, s’emporte et raille cruellement toutes ces absurdités qui le déconcertent. Et tel est Yoltaire. Très sage, ii a des emportements de furieux au service de la sagesse. C’est comme la fièvre de la raison indignée de ne pas avoir raison. Ajoutez qu’il a beaucoup d’esprit et que son esprit trouve son compte à se moquer des imbéciles.

C’est là le ton général des Nouvelles et Romans. C’est un voyage, comme il l’a dit ailleurs, « dans les petites maisons de l’univers, » à savoir sur notre planète. C’est un voyage au « pays des tigres agacés par des singes, » à savoir en France, en Europe et dans quelques régions circonvoisines. C’est un regard désolé et qui finit par devenir méchant, promené sur la race humaine.

Le fond de ce vaste poème satirique, comme de tout poème satirique du reste, est la misanthropie et le pessimisme, nous verrons d’ailleurs avec quelles atténuations, qui, quoique légères, ne doivent pas être oubliées.

Voltaire, à l’époque des Nouvelles et Romans, est décidément misanthrope. Nous savons qu’il ne l’a pas toujours été, comme, du reste, personne ne l’est à tous les instants de sa vie. Il avait publié en 1734 son petit poème du Mondain, dont nous avons parlé, qui respirait la joie de vivre, et particulièrement la joie de vivre au temps où vivait l’auteur, et particulièrement encore de vivre comme on vivait alors ; et cela est précisément la marque de l’optimisme. Il en était revenu, parce qu’il était plus vieux, parce qu’il avait vu plus de choses et parce que son humeur avait changé, ce qui est la vraie raison en pareille affaire. Il était, sinon l’ennemi, du moins le contempteur de l’humanité.

L’idée centrale des Nouvelles et Romans, c’est que l’homme est fou. Il l’est formellement, par ses pensées, par ses sentiments, par ses vouloirs, et par ses actes.