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nouvelles et contes en vers

« Ce qui plaît aux Dames, » Voltaire se demande en badinant quelle est la maîtresse passion de la femme, et à quoi au monde elle lient le plus. Il va nous le dire dans un petit récit qui nous ramène au temps où la reine Berthe filait. En ce temps-là, un bon chevalier, un peu trop vif quelquefois, nommé Robert, avait fait un tort assez grave à Marthon, la marchande d’œufs. La cause fut portée devant la reine Berthe.

Robert était si beau, si plein de charmes,
Si bien tourné, si frais et si vermeil,
Qu’en le jugeant la reine et son conseil
Lorgnaient Robert et répandaient des larmes ;
Même Marthon dans un coin soupira ;
Dans tous les cœurs la pitié trouva place.
Berthe au conseil alors remémora
Qu’au chevalier on pouvait faire grâce
Et qu’il vivrait pour peu qu’il eût d’esprit :
« Car vous savez que notre loi prescrit
De pardonner à qui pourra nous dire
Ce que la femme en tous les temps désire ;
Bien entendu qu’il explique le cas
Très nettement, et ne nous fâche pas. »

Robert n’avait pas d’esprit ; mais il était si charmant et si bon, si sympathique à tous égards, qu’il trouva qui en eût pour lui. Une vieille bergère, qui était une fée, sans en avoir l’air, lui révéla le délicat secret, et huit jours après sa première comparution, voilà Robert derechef devant la reine de France :

Incontinent le conseil assemblé
La reine assise, et Robert appelé :
« Je sais, dit-il, votre secret, mesdames.
Ce qui vous plaît en tous lieux, en tous temps,
N’est pas d’avoir beaucoup de soupirants ;
Mais, fille, ou femme, ou veuve, ou laide, ou belle,
Ou pauvre, ou riche, ou galante, ou cruelle,