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Voltaire

quinze ans (1769), écrivant son « testament » littéraire, il le dédiait à son illustre maître.

Boileau, correct auteur de quelques bons écrits,
Zoïle de Quinault et flatteur de Louis,
Mais oracle du goût dans cet art difficile
Où s’égayait Horace, ou travaillait Virgile ;
Dans la cour du Palais je naquis ton voisin ;
De ton siècle brillant mes yeux virent la fin ;
Siècle de grands talents, bien plus que de lumière,
Dont Corneille en bronchant sut ouvrir la carrière.
Je vis le jardinier de ton jardin d’Auteuil,
Qui chez toi, pour rimer, planta le chèvrefeuil.
Chez ton neveu Dongois je passai mon enfance ;
Bon bourgeois qui se crut un homme d’importance.
Je veux t’écrire un mot sur tes sots ennemis,
À l’hôtel Rambouillet contre toi réunis.
Qui voulaient pour loyer de tes rimes sincères,
Couronné de lauriers, t’envoyer aux galères.
Ces petits beaux-esprits craignaient la vérité,
Et du sel de tes vers la piquante âcreté.
Louis avait du goût. Louis aimait la gloire :
Il voulut que ta Muse assurât sa mémoire ;
Et, satirique heureux, par ton prince avoué,

Tu pus censurer tout, pourvu qu’il fût loué.
 

Voltaire en fera-t-il autant ? Il l’a fait ; mais ses ardeurs, comme celles de Boileau autrefois, commencent à se lasser. Il pourrait dire comme Boileau : « Ainsi que mes beaux jours mes chagrins sont passés, » ou, comme Boileau encore : « Je laisse aux froids rimeurs une libre carrière, Et regarde le champ assis sur la barrière. »

Ce temps est, réponds-tu, très bon pour la satire.
Mais quoi ! Puis-je, en mes vers aiguisant un bon mot,
Affliger sans raison l’amour-propre d’un sot ?
Des Cotins de mon temps poursuivre la racaille ?
Et railler un Coger dont tout Paris se raille ?