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œuvres historiques en prose

grandes lois générales : il fait une part très grande dans la génération des événements humains au hasard, c’est-à-dire l’inattendu, c’est-à-dire aux grands effets sortant des petites causes. Un grand événement dérivant d’un incident insignifiant, c’est en effet quelque chose qui pouvait ne pas arriver, c’est un grand événement accidentel, c’est ce que nous appelons le hasard. Faire sortir les grands événements des petits faits, des « petites movettes, » comme dit Commynes, c’est donc réinstaller le hasard dans l’histoire, et il n’y a pas de meilleur moyen d’en éliminer l’action providentielle, et c’est pourquoi Voltaire n’y manque point. Ce qui a paru un travers de son esprit, une sorte de manie , est, sinon l’effet d’une intention bien concertée, du moins une suite toute naturelle de ses tendances générales.

Il ne faudrait pas oublier, cependant, qu’à côté du hasard il voit autre chose dans l’histoire des hommes : c’est à savoir l’action des grands hommes, et principalement des grands souverains. Il leur attribue une très grande importance. Un Auguste, un Charlemagne, un saint Louis, un Louis XIV, ont, pour lui, une action directe et très forte sur les événements, sur le développement de l’humanité. Ils semblent qu’ils arrêtent un moment le règne du hasard, cette mêlée aventureuse et confuse des incidents produisant des faits immenses, et des faits immenses échouant sur des incidents. L’histoire est pour lui quelque chose comme le hasard, traversé par le génie organisateur.

Remarquez que c’est précisément de cette façon que le bon sens commun se représente l’histoire humaine ; que c’est la manière la plus simple de la comprendre, et que tout autre manière de l’entendre est tout de suite hypothétique et un peu hasardeuse et ambitieuse. Voltaire est le bon sens populaire affiné d’esprit, armé de