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mon homme est faite. Il lira ensuite les critiques les plus éloignés de son goût propre, comme les plus rapprochés aussi, sans les consulter, pour les lire, parce qu’il aime discuter littérature.

Écoutez donc un peu autour de vous. Jamais vous n’entendrez dire : « Il faut aller voir cela. Un tel de tel journal, dit que c’est bon. » Jamais ! Vous entendrez dire : « Il faut aller voir cela. Tous ceux à qui j’en ai parlé m’en ont dit du bien. » — Et puis, d’autre part, vous entendrez dire : « Excellent, l’article d’un tel. Très intéressant. Voilà qui est bien fait », sans que jamais, ni pour s’en plaindre, ni pour approuver, l’on ajoute : « Je suis de son avis sur la pièce » ou : « Je n’en suis pas. » Ou bien ces mots arrivent, mais plus tard, très tard, comme en dehors de la question. Car pour le public, ce n’est pas la question. Comme consultation, il a consulté ses amis. Comme divertissement littéraire, il a lu le critique.

Le public se fait son opinion à lui-même, voilà la vérité, avec une telle rapidité même, que le critique, si pressé qu’il soit, arrive toujours en retard, et le public lit ensuite les critiques pour discuter et raisonner littérature, ce qu’il adore.

L’erreur sur ce point, c’est que l’on confond quelquefois le public avec la foule. La foule suit des chefs en qui elle a confiance… Et encore… ! mais enfin, oui, elle suit à peu près des chefs en qui elle a confiance. Mais le public n’est pas une foule. Il est même presque le contraire. Il se mène absolument