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LE THÉATRE CONTEMPORAIN


M. de Gramont, dans Lucienne, s’est avisé du sujet de Denise.

Vous entendez bien qu’il n’y a pas songé un instant. C’est une rencontre. Mais pour mieux me faire comprendre, je suppose que l’auteur de Lucienne est parti du sujet de Denise. C’est simplement pour m’aider en ma démonstration que je me place dans cette hypothèse. M. de Gramont, donc, partant du sujet de Denise, s’est dit ce qui suit :

« Parbleu ! comme cela, c’est trop simple ; c’est trop agréable aussi pour la petite fille fautive. Elle n’est pas si malheureuse que cela, cette Denise ! Elle a eu un enfant. Mais elle a de la chance : l’enfant est mort. Elle est, de plus, très protégée, très défendue dans la vie. Elle a son père ; elle a sa mère. Ce n’est pas tout : elle a un beau ténébreux de trente-cinq ans, qui est millionnaire, et qui l’adore. Non, Denise n’est pas si malheureuse. Ce qui est dramatique, pathétique, tragique, et ce qui est diablement plus fréquent, aussi, dans la vie, c’est une Denise sans père ni mère, et sans le sou, et sans appui, et sans amoureux riche, et qui a eu un enfant, et dont l’enfant vit encore. Voilà qui est plus commun, je veux dire plus usité, et voilà qui est poignant. Ma Lucienne, ce sera une Denise sans toutes les bonnes fortunes qu’une Providence ingénieuse a ménagées à Denise. »

Voilà Lucienne. C’est une orpheline qui a été recueillie chez les Dubreuil, qui sont vaguement ses oncle et tante. Elle y a été élevée à peu près, et elle