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existe encore, si cette guerre toujours redoutée n’imposait pas même aux chefs de l’État le respect de l’humanité? Qu’on en juge par la Chine, qui, par sa situation, peut redouter sans doute quelque incursion imprévue ; mais non un ennemi puissant, et où, en conséquence, toute trace de liberté est anéantie [et, pourrait-il ajouter, tout souci de progrès dans la culture absent]. Au degré, donc, de culture où l’espèce humaine se trouve encore, la guerre est un moyen indispensable de conduire cette culture plus avant encore ; et ce n’est qu’après une culture achevée — qui le sera Dieu sait quand — que la paix perpétuelle nous serait salutaire, et ce n’est d’ailleurs que par cette culture achevée que cette paix perpétuelle serait possible »[1].

Comment Kant conciliait-il ces idées en apparence assez contradictoires ? Je n’en sais rien. Peut-être ainsi : la guerre est un mal condition nécessaire d’un bien, comme, du reste, tous les biens de l’humanité, en son état d’imperfection, sont sous la condition de certains maux. La guerre existera toujours, et il ne faut pas souhaiter qu’elle disparaisse complètement. Mais le progrès de l’humanité consiste à diminuer indéfiniment la

  1. Cf. Victor Delbos, la Philosophie pratique de Kant.