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d’être normale, et, comme a dit très bien Chateaubriand, la Révolution était faite lorsqu’elle éclata. Donc l’abbé de Saint-Pierre ne pouvait organiser les États-Unis d’Europe qu’en les supposant désirés ou acceptés déjà, c’est-à-dire existants. Mais c’est précisément cette supposition philanthropique qui était fausse.

Jean-Jacques Rousseau examina ce projet, déjà bien oublié quand il y jeta les yeux, avec le ferme bon sens et le sang-froid dont il n’était pas dépourvu quand il lui plaisait de se résignera les avoir. Rousseau fait remarquer qu’il n’est pas très probable que tous les souverains d’Europe ni même quelques-uns abdiquent, car c’est le mot qu’il n’a pas employé, mais qu’il aurait pu écrire, en se soumettant à une diète où chacun n’aurait qu’une voix sur dix-neuf : « Les souverains se soumettront-ils dans leurs querelles à des voies juridiques, que toute la rigueur des lois n’a jamais pu forcer les particuliers à admettre dans les leurs ? Un simple gentilhomme offensé dédaigne de porter ses plaintes au tribunal des maréchaux de France, et vous voulez qu’un roi porte les siennes à la diète européenne ? Encore y a-t-il cette différence que l’un pèche contre les lois et expose doublement sa vie, au lieu que l’autre n’expose guère que celle de ses sujets. » — Rousseau se demande